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YALTA 60 ans déjà!

Mémoire

POURQUOI YALTA ?

Le 4 février 1945, Staline, Roosevelt et Churchill se réunissent à Yalta (Ukraine), sur les bords de la mer Noire. Cette conférence au sommet marque le début de « l’après-guerre ». Depuis, la chute du « Mur de Berlin » a redistribué les cartes. 60 ans après, qui se souvient encore de ces accords qui devaient décider de l’avenir du monde occidental ?

Proposée dès septembre 1944 par le président américain, la conférence s’impose aux trois belligérants en raison de la rapide évolution de la situation militaire. Elle s’inscrit dans la continuité de la conférence de Téhéran (28 novembre - 2 décembre 1943) qui avait déjà largement scellé le sort de la Pologne et des pays Baltes (majuscule, d’après le Robert) et mis en évidence les analyses contrastées des Trois Grands vis-à-vis de la France.

Le choix de la station balnéaire de Yalta est un ukase de Staline qui exige que l’entrevue ait lieu sur la terre soviétique. Deux raisons à cela : il a peur de l’avion, mais il tient surtout à démontrer qu’il est le plus grand d’autant que l’Armée Rouge fonce irrésistiblement vers l’Ouest (Berlin n’est plus qu’à 100 km) alors que les Anglo-Saxons sont encore derrière le Rhin. Roosevelt, bien que très affaibli par sa maladie (qui est un secret d’Etat farouchement gardé), accepte de faire ce long déplacement.

La France n’est pas invitée

La France est absente des débats. Pourtant Staline et Churchill n’étaient pas formellement opposés à ce qu’elle soit à leurs côtés. Le refus explicite vient du président Roosevelt qui charge son premier conseiller et ami Harry Hopkins d’en informer le général de Gaulle quelques jours avant la conférence. Le 5 février, parlant à la radio, de Gaulle formule cet avertissement : « [...] Quant au règlement de la paix future, nous avons fait connaître à nos alliés que la France ne serait, bien entendu, engagée par absolument rien qu’elle n’aurait été à même de discuter et d’approuver au même titre que les autres....Je précise que la présence des forces françaises d’un bout à l’autre du Rhin, la séparation des territoires de la rive gauche du fleuve et du bassin de la Ruhr de ce que sera l’Etat allemand, l’indépendance des nations polonaise, tchécoslovaque, autrichienne et balkaniques, sont des conditions que la France juge essentielles [ ...] »

Les négociations

Entre temps, les délégations américaine et britannique, 150 personnes au total, atterrissent sur l’aérodrome de Saki, à 200 km de Yalta. Le trajet par une route de montagne, 6 heures sont nécessaires, détériore encore un peu plus le mauvais état de santé de Roosevelt. Les conditions d’hébergement sont médiocres, sauf pour les chefs d’Etat. Les généraux britanniques sont 4 ou 5 par chambre et n’ont qu’une salle de bain pour 20. La délégation américaine n’est pas mieux lotie : une chambre pour 8 généraux. Et que dire des colonels entassés à 16 dans un dortoir ! Cette promiscuité ne sera pas sans effet sur les relations tripartites.

Les négociateurs se retrouvent au palais de Livadia. Un sommet quotidien des ministres des affaires étrangères (Molotov, Eden et Stettinius) a lieu après chaque séance de travail des délégations. Dans l’après-midi, les séances plénières se déroulent avec l’ensemble des participants dans l’ancienne salle du trône (23 m sur 10). L’ordre du jour n’est guère suivi, d’où beaucoup d’incohérences dans les entretiens entre les Trois Grands. La table de négociation où siègent Staline, Roosevelt et Churchill est ronde. En retrait trois « arcs » : le russe où les civils sont majoritaires (Molotov, Gromyko, Pavlov, Maïsky, Vychinski), le britannique à dominante militaire (Alexander, Brooke, Portal, Ismay), et enfin l’américain, marqué par la maladie. En effet, outre Roosevelt qui se meurt (il décèdera deux mois plus tard), Harry Hopkins, son éminence grise, n’est guère en meilleur état de santé. Les généraux américains (Marshall, Deane, Kuter, McFarland, King, Leahy) sont, quant à eux, soumis à l’autoritarisme de leur Président.

Ce que cherche l’Amérique, pourtant la plus forte, la moins marquée par l’effort de guerre, c’est avant tout le soutien de la Russie dans la guerre du Pacifique. La bombe atomique n’est pas encore au point et les experts militaires américains estiment que le Japon peut encore tenir deux ans ! Le deuxième objectif des Américains est de faire participer les Russes à l’Organisation des Nations Unies, persuadés que la démocratie va désormais devenir le moteur d’un monde nouveau.

Pour les Russes, et pour Staline en particulier, tout ce qui aura été libéré par le drapeau rouge restera rouge. La liste des pays concernés est longue : Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie, Hongrie, Pologne, une partie de la Tchécoslovaquie, la Prusse et la Silésie. Pour la Pologne qui est un enjeu majeur, et pour les autres pays d’ailleurs, des promesses d’élections libres (jamais tenues) amèneront Churchill à accepter les propositions soviétiques...

Quant aux Britanniques, ils défendent la France, absente des débats au grand dam du général de Gaulle qui aurait aimé participer non seulement aux discussions politiques, mais aussi aux entretiens stratégiques. Winston Churchill et Anthony Eden vont réussir à convaincre Roosevelt, puis Staline de redonner à la France son statut de grande puissance, de lui confier une zone d’occupation, de lui permettre d’intégrer les organismes de contrôle internationaux et d’occuper un siège au futur Conseil de sécurité de l’ONU (créé par 51 pays lors de la conférence constitutive de San Francisco du 25 avril 1945). L’avancée des troupes françaises jusqu’au Tyrol et la note rédigée par le secrétaire d’Etat américain Stettinius à la veille de Yalta [...] ll est de notre intérêt de traiter la France, à tous points de vue, sur la base de son pouvoir et de son influence potentielles, plutôt que sur la base de sa force actuelle [...] n’y sont doute sans doute pas étrangers !

Les accords

Au terme de la conférence (qui se termine le 11 février), que faut-il en retenir ? Staline, Roosevelt et Churchill ne se sont pas seulement contentés de régler les questions militaires, ils ont aussi traité les problèmes qui allaient se poser après la victoire. Voici un extrait du communiqué final de la conférence : [...] Le rétablissement de l’ordre en Europe et la reconstruction de la vie économique nationale devront être réalisés par des méthodes qui permettront aux peuples libérés d’effacer les derniers vestiges du nazisme et du fascisme et de se donner les institutions démocratiques de leur propre choix. Ce sont les principes de la Charte de l’Atlantique ; droit de tous les peuples à choisir la forme du gouvernement sous lequel ils veulent vivre, restauration des droits souverains et auto-gouvernement au profit des peuples qui en ont été privés par les puissances d’agression [...]
Ce n’est qu’un peu plus tard que Staline, en violation de ses propres promesses, imposera le régime communiste à tous les pays libérés par ses armées, à l’exception de l’Autriche. S’adressant à Tito, il jette le masque : [...] Cette guerre ne ressemble pas à celle du passé : quiconque occupe un territoire y impose son propre système social. Tout le monde impose son système aussi loin qu’il peut avancer. Il ne saurait en être autrement [...] Le tracé des nouvelles frontières, non arrêté à Yalta, fera, lui, l’objet de négociations ultérieures, lors de la conférence de Postdam (17 juillet - 2 août 1945). On connaît la suite !

L’Allemagne

Elle paiera, mais tenant compte de l’erreur de 1918 qui prévoyait des règlements en or, ce qui avait abouti à des chiffres qui perdaient tout sens, la méthode retenue associe les paiements en espèces à la fourniture de matériels et de main d’œuvre. Le montant des réparations est estimé à 20 milliards de dollars, dont plus de la moitié au profit de l’URSS.
La volonté des Trois Grands de démilitariser l’Allemagne se traduit par la création de quatre zones d’occupation (la zone française étant prélevée sur les zones américaine et britannique), alors que Berlin fera l’objet d’une occupation indivise. L’anéantissement du nazisme, autre volonté forte de Yalta, se concrétisera par l’organisation du procès de Nuremberg (novembre 1945 - octobre 1946).

La Pologne

Principal point de discorde entre les Trois Grands, la Pologne accapare la plus grande partie des débats. Staline veut en faire un bouclier sur la frontière occidentale de l’URSS. La Grande-Bretagne fait la part du feu et accepte le nouveau découpage géographique proposé par Staline. La frontière orientale de la Pologne suivra approximativement la ligne Curzon (ligne proposée en 1919 par les Alliés, sur suggestion de lord Curzon), l’URSS récupérant ainsi une partie des territoires biélorusses et ukrainiens. En compensation, la Pologne hérite d’une partie de la Prusse orientale (au détriment de l’Allemagne), ce qui lui assure un large accès à la mer Baltique.

Un marché de dupe

Les Russes promettent d’intervenir contre le Japon « dans les deux ou trois mois qui suivront la capitulation de l’Allemagne ». Ils reçoivent en échange des concessions territoriales : l’archipel des Kouriles (dont les îles les plus méridionales sont aujourd’hui revendiquées par le Japon), la moitié sud de l’île de Sakhaline (la moitié nord étant déjà occupée par les Russes depuis les années 1850), Port Arthur (ou Liu-chouen, cédé à la Chine en 1954) au titre de base militaire, etc.

En Europe, la main mise progressive de l’URSS sur les pays occupés par l’Armée Rouge fait dire à Harry Hopkins « Les mots n’ont pas le même sens pour les Russes et pour nous ».
Le 12 avril 1945, Harry Truman succède à Roosevelt. Il prend connaissance le soir même du projet ultra secret « Manhattan District », autrement dit la mise au point de l’arme atomique. Désormais le soutien soviétique n’a plus lieu d’être ...

Conclusion

Les congratulations réciproques échangées par Staline, Roosevelt et Churchill le 11 février 1945 ne purent masquer longtemps la fragilité de l’alliance scellée contre Hitler. Yalta ne fut pas réellement la conférence de partage du monde (ce rôle étant dévolu quelques mois plus tard à celle de Postdam) mais, selon le secrétaire d’Etat américain Stettinius, « l’apogée de l’union alliée ». L’Europe, sous le poids de l’oppression politique imposée par Staline, va progressivement se diviser entre pro-occidentaux et pro-soviétiques (voir carte). Dès le mois de mars 1946, Winston Churchill évoque, lors d’un voyage aux Etats-Unis, l’image d’un « rideau de fer ». La mise en œuvre du plan Marshall en juin 1947 servira de détonateur à ce que l’on a appelé communément « la Guerre Froide ». Nous sommes loin de l’idéal de paix et de liberté prôné par Roosevelt en février 1945 !

André Mudler
( FARAC INFO. Février 2005)

Dirigeants à Yalta Division de l'Europe à la suite de l'après-guerre

SOURCES:
- Raymond Cartier, La Seconde Guerre mondiale, Montrouge, Larousse,1966.

- Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, III, Le salut, Plon, 1959.

- Journaux de guerre n° 71, Hachette, 1984. 

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