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Le miracle de BERLIN

Mémoire

Cérémonie du 8 mai 2012 à Lyon

ALLOCUTION DES ANCIENS COMBATTANTS

Introduction

Dans les livres d’histoire une image-symbole marque la fin du chapitre consacré à la Seconde Guerre mondiale. Elle montre la cérémonie protocolaire du 8 mai 1945 à Berlin mettant un terme aux hostilités en Europe.

Introduit dans la salle, sanglé dans son arrogance, le Feldmarschall Keitel, commandant suprême de la Wehrmacht, en découvrant le drapeau tricolore et, avec les trois Alliés, le représentant de la France, le général de Lattre de Tassigny, eut cette phrase : « Des Français ici ? Il ne manquait plus que ça. »

Paradoxalement, cette exclamation de haine et de mépris de l’ennemi enfin vaincu servira de fondement au propos que je vais tenir au nom des Anciens Combattants.

1942, le tournant de la guerre

Des Français à Berlin ! La signature in extremis d’un général français au bas de l’acte de capitulation des forces hitlériennes semblait tenir, en effet, du miracle. Celui d’une résurrection nationale, impensable quelques semaines plus tôt, pas seulement chez nos vainqueurs de juin 1940, mais aussi chez nos Alliés, stupéfiés par l’effondrement en un mois et demi de cette armée française réputée depuis 1918 la plus puissante du monde.

Comment cette armée disloquée, écrasée, humiliée, compromise pendant plus de deux années sous le régime de Vichy, avait-elle pu retrouver son âme et ressurgir au point d’être invitée au banc des vainqueurs ?

Chacun ici connaît le défi du 18 Juin 1940, mais il sait aussi dans quel isolement, quel dénuement, quelle dépendance des Britanniques, eux-mêmes longtemps seuls face à la déferlante nazie, se trouvaient les premiers Français Libres. Et chacun sait aussi qu’il fallut de longs mois pour que les premiers Résistants, disséminés dans la Patrie occupée, puissent se reconnaître, se rencontrer et s’entendre.

En réalité, il fallut attendre 1942, l’année charnière de la guerre à de nombreux égards, dont nous pourrions considérer ce matin que nous commémorons le 70e anniversaire, pour voir s’esquisser l’ébauche d’un réel renouveau. A la fin de cette année-là, en effet, Hitler ne pouvait plus gagner la guerre, car deux événements stratégiques majeurs allaient lui couper définitivement l’initiative : le débarquement allié d’Afrique du Nord en novembre et la bataille de Stalingrad en décembre.

Le premier eut des conséquences décisives pour la résurrection de la France et de son armée. Par delà la Méditerranée l’horizon se clarifiait.

En effet, les nazis envahissaient la Zone Sud, la flotte de Toulon se sabordait et l’armée d’armistice était dissoute, entraînant une partie de ses cadres à basculer dans la clandestinité, cependant qu’en Afrique du Nord de nombreuses unités échappées aux contrôles des commissions d’armistice pouvaient reprendre immédiatement le combat aux côtés des Alliés, ce qu’elles firent dès décembre en Tunisie contre les forces de l’Axe.

Mais aussi, la répression de l’occupant, ses déportations racistes et anti sémites, son exploitation systématique des ressources humaines et matérielles, menées désormais sur la totalité de la Métropole achevaient de dissiper les dernières illusions sur le régime de collaboration vichyste et accéléraient par réaction l’extension des réseaux de Résistance

Le moment était, de surcroît, devenu favorable puisque, rappelons-le, c’est au début de cette année 1942 que fut parachuté en France Jean Moulin, chargé par le général de Gaulle d’unifier les mouvements de Résistance et en juillet que la France Libre devenait la France Combattante, afin de mieux intégrer toutes les forces de renaissance, d’où qu’elles viennent, de la résistance intérieure ou des unités classiques d’outre-mer.

L’espoir jaillissait vraiment en juin avec Bir Hakeim qui fit dire à de Gaulle : « Pour le monde entier, le canon de Bir Hakeim annonce le début du redressement de la France. » [1]

L’épreuve d’Italie

Mais quelles dures étapes restaient encore à franchir sur le long chemin qui menait à Berlin.

La suivante fut la campagne d’Italie, précédée en octobre 1943 de la libération de la Corse par la combinaison audacieuse, éclair symbolique, des actions de la Résistance insulaire et des commandos français venus d’Algérie.

Les lumineuses victoires du CEFI (corps expéditionnaire français en Italie) ont laissé plus d’empreinte chez nos alliés de l’époque que chez nos compatriotes et c’est bien dommage. Et pourtant, quelle magnifique ardeur déployèrent les quatre divisions d’infanterie et les tabors du général Juin lors des batailles décisives des Abruzzes puis de Toscane au printemps 1944, cependant qu’en juin l’île d’Elbe était reconquise par les seules unités françaises. Mais à quel prix ? Sur les 110 000 hommes du CEFI, venus essentiellement d’Afrique du Nord, Pieds-Noirs et autochtones fraternellement soudés, plus du quart fut mis hors de combat.

Heureusement Lyon s’honore d’entretenir le souvenir de ces sacrifices par une stèle érigée près de la mairie du 8e Arrondissement.

« Rhin et Danube »

Mais, malgré l’Italie, la résurrection de l’armée française n’était pas encore acquise dans l’esprit des Alliés. Il lui fallait passer l’épreuve alsacienne du rude hiver 44/45, d’une toute autre portée nationale. Car si en octobre 1944 la plus grande part du territoire métropolitain était libérée, il manquait cette province héroïque que les nazis avaient sanctuarisée et entendaient défendre pied-à-pied.

C’était la mission de vérité. Elle incombait à l’armée de Lattre, enfin regroupée, renforcée des forces issues de la Résistance, pour la première fois aussi de la 2e DB de Leclerc et même d’un corps d’armée américain prêté pour l’assaut final. La victoire éclatante de Colmar, achevée le 10 février 1945, mettait un terme à la présence nazie sur le sol français. C’était, presque, le billet assuré pour Berlin.

Restait l’ultime étape, celle d’au-delà du Rhin qui devait forcer la Wehrmacht à capituler sans condition. Le fleuve franchi en force entre Karlsruhe et Spire, les divisions françaises avaient obligation militaire et diplomatique à avaler le plus de territoire ennemi possible. Elles le firent dans une vaste course de vitesse avec les divisions américaines, en éventail derrière la Forêt Noire, vers le lac de Constance et le Tyrol. L’enjeu était de taille : la France devait prétendre à la plus grande part possible de la victoire et achever en apothéose le miracle ébauché le 18 juin 40.

L’amalgame

J’aimerais conclure ce bref survol de cinq années d’épreuves en évoquant la doctrine qui permit les deux dernières étapes. Peu de nos compatriotes en connaissent à présent l’existence. Elle prit pourtant naissance à Lyon, sous une forme quasi-officielle, quelques jours après la libération de la ville le 3 septembre 1944.

Cette doctrine s’est appelée « l’amalgame », pas dans le sens donné dans des récentes affaires médiatisées. Il ne s’agissait pas alors de confusion ou de fusion, bien au contraire.

En septembre 1944, de Gaulle à l’échelon politique et de Lattre à la conduite stratégique avaient les mêmes préoccupations. Il leur fallait refaire l’unité de la France et de son armée.

Dans un article du Patriote paru à Lyon le 9 septembre sous la plume de la Résistante Madeleine Braun, de Lattre livrait ses soucis et ses ambitions : recompléter ses effectifs après les pertes d’Italie puis de Toulon et Marseille, gonfler son armée pour la rendre plus crédible aux Alliés, plus urgent encore, intégrer plusieurs dizaines de milliers de Résistants qui ne pouvaient surtout pas rester inactifs alors qu’était inachevée la libération de la France.

En s’inspirant du décret de la Convention du 21 février 1793 qui justement « amalgamait » dans l’urgence, sans les fusionner, les bataillons de l’armée royale et ceux des volontaires nationaux, de Lattre sut intelligemment enrichir son armée des origines, motivations et expériences différentes des unités traditionnelles et des formations maquisardes, toutes animées de la même foi patriotique. Il sut vaincre souvent leurs réticences et parfois leurs oppositions et pénétrer en Allemagne avec un puissant outil de guerre composé des 250 000 soldats d’outre-mer et des 130 000 FFI, créer ainsi deux nouvelles divisions et dans le même temps, tenir le front des Alpes et les poches de l’Atlantique.

Le gouvernement provisoire y trouvait son compte dans l’impérieuse reconstruction intérieure et les exigences du nouveau dialogue international.

A soixante-huit ans de distance, il nous reste à méditer, précisément en ces temps électoraux, cette phrase de de Lattre qui concluait ainsi l’exposé de sa doctrine de l’amalgame : « Rien ne pourra être fait dans l’avenir, la France nouvelle ne pourra pas se sculpter sans avoir dans sa propre matière cette glaise faite de toutes les douleurs. » [2]

François LESCEL

Notes:

[1] Mémoires de guerre, tome 1, ch. La France combattante, page 257.

[2] Histoire de la Première Armée française, ch VII, L’amalgame. 

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