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Les étrangers de France au début de la grande guerre

Mémoire

Qui sait si l’inconnu qui dort sous l’arche immense
Mêlant sa gloire épique aux orgueils du passé,
N’est pas cet étranger devenu fils de France,
Non par le sang reçu, mais par le sang versé.

Pascal Bonnetti, 1920

Le 1er janvier 2008, dans l’indifférence générale, décédait Erich KÂSTNER, le dernier combattant allemand de la Première Guerre mondiale. Agé de 107 ans, il avait servi de juillet à novembre 1918 sur le front Ouest. L’avis de décès paru dans un journal régional ne faisait pas mention de ses faits de guerre. Cet état de fait témoigne du rôle secondaire joué par ce conflit dans la mémoire collective allemande, rejeté au second plan par la Deuxième Guerre mondiale infiniment plus meurtrière et destructrice pour les Allemands.

La disparition de Lazare Ponticelli le 12 mars dernier avait, elle, une toute autre dimension. L’hommage national qui lui a été rendu, témoigne de l’importance de l’événement. Une page de l’histoire de France se tourne. La Grande Guerre rejoint les guerres révolues des siècles précédents, celles que l’on découvre dans les livres d’école. A travers le légionnaire Ponticelli, 1,4 million de morts ont été collectivement honorés. Il restera « le dernier Poilu », un de ceux qui ont donné à leur pays avant de recevoir.

Le général Claude Girard ; ancien légionnaire lui-même, faut-il le rappeler, a tenu à évoquer à cette occasion tous ces étrangers qui n’ont pas hésité à s’engager dans l’armée française pour la durée de la guerre.

Lazare Ponticelli, né en décembre 1897 dans le nord de l’Italie et travaillant en France, dissimula son âge afin de pouvoir s’engager dès l’automne 1914 au 4e régiment de marche de la Légion étrangère, « la Légion garibaldienne ». Il rejoignit donc ces milliers d’étrangers vivant en France qui se présentèrent dans les bureaux d’engagement pour défendre une Patrie qui n’était pas la leur. Il déclara « J’ai voulu défendre la France, parce qu’elle m’avait donné à manger. C’était une manière de dire merci ». Ces paroles sont à rapprocher de celles du lieutenant-colonel Amilakvari, prince géorgien, mort pour la France à El-Heimat en octobre 1942 ; « Nous, étrangers, n’avons qu’une seule façon de prouver à la France notre gratitude pour l’accueil qu’elle nous a fait : c’est de mourir pour elle ».

Les Garibaldi Le sous-lieutenant Constant Garibaldi escorte le corps de son frère
Bruno, tué au combat le 26 décembre 1914.
Il tombera dix jours plus tard, le 5 janvier 1915

Avant et après le 2 août 1914

Un mouvement important des étrangers de France pour le pays les ayant accueillis s’impose avec les Italiens et les Américains en tète. Il est du en partie aux « Amitiés françaises » fondées en 1909 à Liège. Cette association prend la tête de ce mouvement international. Le 31 juillet , les Italiens de France organisèrent une réunion regroupant plus de 3000 de leurs compatriotes pour créer une légion garibaldienne dont les francs-tireurs porteraient la célèbre chemise rouge des garibaldiens. Mais l’Italie étant encore neutre, il leur fut demandé de s’engager en masse dans l’armée française. C’est le 1er août que paraît sur les journaux du matin l’appel suivant aux étrangers de France :

« L’heure est grave.
Tout homme digne de ce nom doit aujourd’hui agir, doit se défendre de rester inactif au milieu de la plus formidable conflagration que l’histoire ait jamais connue.
Toute hésitation serait un crime.
Point de paroles, donc des actes.
Des étrangers amis de la France, qui, pendant leur séjour en France, ont appris à l’aimer et à la chérir comme une seconde patrie, sentent le besoin impérieux de lui offrir leurs bras.
Intellectuels, étudiants, ouvriers, hommes valides de toute sorte-nés ailleurs, domiciliés ici-qui avons trouvé en France la nourriture matérielle, groupons-nous en faisceau solide de volontés mises au service de la plus grande France. »

Parmi les noms des signataires il faut citer : Blaise Cendrars, Kaplan, Pascal Bonnetti. Suite à cet appel de l’intelligentsia étrangère en France, plus de 8000 candidats se présentèrent le 3 août dans les permanences que l’association « les Amitiés françaises » avaient ouverts. Les demandes d’engagement furent adressées au ministère de la Guerre. De son côté, le comité de la communauté arménienne en France lance aussi un appel rappelant que la Turquie qui mobilise est la protégée de l’Allemagne. A New-York et à San Francisco de nombreux Américains, se rappelant le général La Fayette et ses Français lors de la guerre d’Indépendance, tentent de s’engager par tous les moyens ; à Paris la colonie américaine constitue un comité d’engagement et fait paraître une lettre dans les journaux parisiens.

L’afflux des volontaires étrangers

Les engagements signés auprès des bureaux des « Amitiés françaises » ou des divers comités n’avaient aucune valeur officielle car ils étaient contraires au statut des étrangers résidant en France et surtout ne tenaient pas compte de l’attitude de leurs pays d’origine vis à vis de l’Allemagne, principalement en ce qui concerne les Etats-Unis où il y avait une importante immigration d’origine allemande.

C’est alors qu’individuellement de nombreux étrangers trouvent une solution à ce problème en contractant un engagement sous un nom d’emprunt à la Légion étrangère, seule à pouvoir le faire pour une durée de cinq ans, mais uniquement pour servir en dehors du territoire métropolitain. Le gouvernement français contourna cette clause le 8 août par un décret qui devait permettre aux étrangers de s’engager dans les rangs de la Légion pour la durée de la guerre. Cependant, pour éviter un trop grand afflux, il fut décidé que cet engagement ne pourrait être reçu qu’à partir du 20e jour de la mobilisation. Le 21 août des milliers de volontaires étrangers se retrouvèrent devant l’hôtel des Invalides pour s’engager. Le lendemain, il y en avait toujours autant ! La possibilité de s’engager fut prolongée jusqu’au 25, puis furent créés des bureaux d’engagement permanents.

Ainsi au début de 1915, s’étaient engagés officiellement :
4913 Italiens
3393 Russes
1467 Suisses
1462 Belges
1369 Austro Hongrois (de toutes les nationalités de l’empire, dont une majorité de Tchèques)
1072 Allemands (venant de Pologne et des pays baltes)
869 Espagnols
592 Libanais et Syriens
541 Luxembourgeois
près de 500 Arméniens
environ 200 Américains résidant en dehors des Etats-Unis.

II faut cependant noter en ce qui concerne les Etats-Unis que l’hôpital américain de Neuilly accueillait dès le 7 août les premiers blessés français et que sur la centaine d’ambulances de cet hôpital une grande partie se rendirent sur le front.
La province connut aussi un grand nombre d’engagements, d’Italiens en Savoie et dans les Alpes-Maritimes, de Suisses à Lyon, de Catalans espagnols à Perpignan.
Par la suite, certains étrangers durent rejoindre l’armée de leur pays, leur pays d’origine étant entré en guerre contre l’empire austro-hongrois et l’Allemagne, ce qui fut le cas pour les Italiens comme Lazare Ponticelli, enrôlé comme chasseur alpin pour combattre les Autrichiens.

En parlant des volontaires étrangers, René Doumic, secrétaire perpétuel de l’Académie française, avait écrit :
« Cette part prise à la Grande Guerre par les volontaires étrangers restera, pour la France, une des pages les plus glorieuses de son histoire. Elle atteste le prestige du génie français à travers le monde Ceux qui, pour avoir partagé notre vie, en ont pu goûter la saveur bienfaisante, ont jugé qu’elle était nécessaire à la civilisation universelle. Ils se sont levés pour sa défense. Ils ont témoigné pour elle jusqu’à la mort ».

Sources :
La France héroïque et ses Alliés, Gustave Geffroy, Léopold Lacour et Louis Lumet, Librairie Larousse.
La Légion en 14-18, Pierre Dufour, Editions Pygmalion.
Le Livre d’or de la Légion étrangère, Jean Brunon Georges. Manue et Pierre Caries, Editeur Lavauzelle.
Les Poilus, Pierre Miquel, Editions Pion.

Les volontaires arméniens en 1914

Au lendemain de la proclamation de l’état de guerre entre la France et l’Allemagne, c’est-à-dire dès le 2 août 1914, les Arméniens habitant en France décidèrent d’adresser un pressant appel à leurs compatriotes du monde entier, leur demandant de se rallier sans réticence ni retard à la cause de la France. Cet appel historique était une belle manifestation à l’égard de la France généreuse, et une prise de position très nette contre les ennemis communs. La publication de cet appel a provoqué un vif mouvement d’enthousiasme parmi la jeunesse arménienne et les engagements volontaires pour la durée de la guerre furent nombreux tant à Paris qu’à Marseille.

C’est donc environ 500 Arméniens en 1914 sur l’effectif d’environ 5000 personnes de la colonie arménienne en France qui se sont engagés volontairement pour défendre leur Patrie d’adoption dans un idéal de justice, de droit de l’humanité, selon les termes mêmes de leur proclamation.

(D’après l’ouvrage réalisé par le comité des anciens combattants volontaires arméniens dans l’armée française)

Le carré italien du cimetière de la Guillotière, Lyon 8e

La disparition de Lazare Ponticelli permet de rappeler brièvement l’existence du carré italien situé dans le nouveau cimetière de la Guillotière. Concédé à perpétuité par la ville de Lyon à l’Italie, il regroupe les corps de 71 soldats italiens morts dans les ambulances lyonnaises pendant la guerre de 1914-1918. Ce lieu majestueux, comme on peut le voir sur la photo ci-après, est régulièrement entretenu et fait l’objet de dépôts de gerbes.

Les volontaires étrangers, Paris 1914 Carré italien
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