Les "armes cruelles" de la grande guerre
- Catégorie: Première guerre mondiale (1914 - 1918)
Mémoire
La guerre de 1914-1918 a vu non seulement se perfectionner chez les adversaires des armes existantes, mais aussi la création de nouvelles armes encore plus cruelles pour les combattants.
Balles « dum-dum » ou balles « S » allemandes ?
Ce furent les Anglais qui, voyant lors des opérations en Inde contre des rebelles fanatisés que ces derniers grièvement blessés continuaient leur assaut, furent amenés à fabriquer des balles ayant une puissance d’arrêt très forte et appelées balles « dum dum » du nom de la fabrique en Inde.
Ces balles avaient une enveloppe en maillechort fendue en croix à l’avant permettant ainsi au noyau de plomb de s’épanouir dans la blessure. Il fut cependant reconnu que l’emploi des balles « dum dum » était assez peu justifié et constituait une cruauté inutile, c’est pourquoi un article spécial de la convention de La Haye de 1899 signée par 26 états interdit l’emploi dans les guerres « régulières » (sic) de toutes les balles à enveloppe fendue ou interrompue. A la déclaration de guerre en 1914, l’armée allemande était dotée du fusil Gewehr 98 qui tirait la munition de calibre 7,92 la balle « S » ( Spitzgeschoss, balle pointue).
Mais il s’est avéré que cette balle avec sa forme courte, son centre de gravité placé à l’arrière et son enveloppe entaillée à la base aurait eu tendance à basculer et donc à arriver sur le but à l’envers.
La cartouche Mle 1888 S adoptée officiellement par l’armée allemande en 1905 avait une balle ogivale d’une longueur de 28 mm et d’un poids de 9,8 gr avec une base incurvée, alors que la balle de la cartouche française 1886 D (œuvre du capitaine Désaleux) mesurait 39,20 mm et pesait 12,80 gr. Ce qui peut expliquer que la balle « S » étant mal équilibrée avait tendance à se renverser sur sa trajectoire et à produire à l’impact les mêmes effets qu’une balle « dum-dum » [1] C’est pourquoi les Allemands furent souvent accusés à tort d’avoir utilisé ce genre de balle interdite. Dans son livre « La Légion en 14-18 », Pierre Dufour écrit : « Le capitaine Vautelet qui inspecte les travaux de tranchées, a le bras gauche fracassé par une balle dum-dum ; on l’ampute sans attendre ».
Les lance-flammes
La connaissance du « feu grégeois » par les Byzantins leur permit pendant longtemps d’avoir la supériorité sur leurs ennemis, mais l’usage d’engins incendiaires dans les guerres n’était pas nouveau. Des auteurs grecs avaient décrit des tuyaux qui permettaient de projeter du naphte de Babylone ou du bitume enflammé. Mais c’est à Byzance au VIIe siècle que les liquides incendiaires à base d’huile de pierre (naphte) vont jouer un rôle important dans les guerres grâce aux systèmes à base de siphons qui permettaient de les projeter sur l’ennemi que ce soit sur mer ou sur terre. Les Arabes à leur tour utilisèrent le feu grégeois contre les Croisés. [2] Le feu grégeois et ses engins de projection furent donc à l’origine des flammenwerfer (lance-flammes) allemands puis français de la Grande Guerre. L’idée d’utiliser des lance-flammes pendant la guerre de 1914-1918 avait été étudiée par les Allemands plusieurs années auparavant et des brevets avaient été pris à ce sujet, alors que les conventions de La Haye interdisaient « tous projectiles destinés à répandre des gaz en flammes » ( il est vrai que les lance-flammes n’étaient pas des projectiles).
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Engin à souffler utilisé par les Byzantins pour projecter le feu grégeois |
Lance-flammes utilisé par les allemands pendant la guerre de 1914 - 1918 |
Le « flammenwerfer » allemand comprenait un réservoir porté à dos d’homme ou installé à poste fixe et contenant un liquide inflammable pouvant s’écouler par une lance d’arrosage sous la pression d’un réservoir de gaz carbonique. A la sortie de la lance, le liquide était enflammé au moyen d‘une amorce et projeté sous forme de jet à une trentaine de mètres.
La France à son tour construisit des lance-flammes plus rudimentaires que ceux des Allemands.
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Lance flamme français | Une attaque allemande avec "flammenwerfer" |
Chacun des adversaires donna aussi aux tireurs d’élite, en nombre restreint pour la France, la mission de détruire les lance-flammes ennemis dont les porteurs étaient alors souvent transformés en torche. Cependant il n’a pas été prouvé que les tireurs d’élite utilisaient des munitions explosives ou incendiaires. Les tireurs d’élite français étaient dotés du fusil Lebel 1886/93 équipé de la lunette de tir APX 1916 ou 1917 qui conférait à ce fusil une redoutable efficacité jusqu’à des distances de 800 mètres. Cependant cette arme ne fut mise en service qu’en très petits nombres.
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Tireur d'élite allemand doté d'une |
Fusil Lebel 1886/93 équipé de la lunette de tir APX 1916 |
Les gaz asphyxiants
« Des hommes se roulaient à terre, convulsés, toussant, vomissant, crachant le sang. » (Octave Béliard, médecin au 66e R.I)
Avant la Grande Guerre, des études avaient eu lieu en France sur le gaz lacrymogène et sur son utilisation en cas de conflit, mais ce sont les Allemands qui, lors de la 2e bataille d’Ypres le 22 avril 1915 profitant d’un léger vent favorable, envoyèrent à partir de récipients métalliques des vapeurs de chlore vers les lignes des alliés (Belges, Anglais, Canadiens et Français) dont une grande partie tomba asphyxiée (on estima à 10.000 les morts ou les hommes mis hors de combat) [3]. C’est ainsi que les Allemands, protégés par des masques respiratoires purent franchir le canal de l’Yser. Cependant la projection du gaz sous pression à partir de bonbonnes était aléatoire, car la mise en place assez proche des lignes ennemies était peu discrète et en plus une saute de vent pouvait retourner les vapeurs toxiques sur ceux qui les avaient envoyées. C’est pourquoi les Allemands par la suite, mais aussi les Français, utilisèrent des obus explosifs à gaz toxiques.
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Lanceurs de gaz de combat (vapeurs de chlore) | Obus allemand à gaz toxique |
Les premiers moyens utilisés par les Français pour lutter contre les gaz furent assez rudimentaires. On distribua aux soldats des sachets dans lesquels étaient des compresses à mettre devant la bouche et le nez à l’aide de deux cordons, ainsi que des lunettes de chauffeur. Ces compresses étaient différentes suivant les gaz lancés par l’ennemi. L’alerte aux gaz était donnée de jour par des moyens sonores (gongs, cloches, klaxons, sirènes) et de nuit par des fusées éclairantes.
A partir d’octobre 1915, on dota les soldats français d’une sorte de « cagoule » qui enveloppait tout le visage et qui contenait un tampon réunissant plusieurs des substances employées dans des compresses différentes. Cette « cagoule » était placée dans une boîte métallique. Entre temps des systèmes de protection très rudimentaires avaient aussi été distribués aux populations civiles proches du front.
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Fabrication de masques | Enfant avec une protection contre les gaz |
Soldat équipé du masque du type "cagoule" |
Durant cette guerre, il s’en suivit chez les adversaires une course aux produits de plus en plus toxiques. On composa le chlore avec du brome, puis avec l’oxyde de carbone qui donna le phosgène encore plus efficace. Dans la perspective de prolonger la nocivité d’un gaz sur le terrain, les Allemands eurent recours au sulfure d’éthyle dichloré, agissant à la fois par des vapeurs irritantes et suffocantes et comme liquide vésicant provoquant la brûlure des tissus humains. Ce fut « l’ypérite » (nom venant de celui de la ville d’Ypres) ou gaz moutarde. C’est pendant la nuit du 12 au 13 juillet 1917, qu’Ypres et ses environs furent bombardés par des obus toxiques contenant l’ypérite.
« Le gaz n’irritait que légèrement les muqueuses du nez et de la gorge ; il faisait éternuer, mais il n’y avait aucun malaise, ni aucune oppression de la poitrine, il n’y avait aucun effet lacrymatoire immédiat ni aucune irritation des yeux. Quant à l’odeur, elle était qualifiée diversement, suivant les hommes : désagréable, huileuse, odeur d’ail, odeur de moutarde. Les effets immédiats étaient si insignifiants qu’ils étaient pour ainsi dire ignorés de bien des hommes ». Pourtant quelques heures après avoir été atteints, les hommes devinrent aveugles : « Il leur semblait souvent d’avoir du sable ou du gravier dans les yeux. Puis leurs corps se couvrirent de pustules comme suite à une brûlure ».
L’obus à ypérite fut l’arme la plus puissante contre le personnel et aussi la plus redoutée par nos soldats, car les masques à gaz étaient sans effet sur les brûlures provoquées par le simple contact avec le sol sur un terrain contaminé plusieurs jours auparavant.
De février à avril 1918 tous nos combattants en première ligne furent progressivement dotés du nouveau masque à gaz ARS 1917 appelé « groin de cochon ». Il fut copié sur le modèle allemand, malheureusement avec retard. Sa cartouche filtrante contenant du charbon actif et des composants chimiques neutralisants offrait une assez bonne protection contre l’ypérite et les dérivés du phosgène, ce masque était enfermé dans une boîte cylindrique. Mais l’adversaire, pour obliger nos soldats à ôter leur masque, employa des gaz lacrymogènes et sternutatoires avant les bombardements massifs avec des obus au phosgène ou à l’ypérite.
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Masque à gaz ARS1917 et sa boîte cannelée |
Chevaux équipés contre les gaz toxiques |
Fantassin américain lors d'un assaut en 1918, suffocant sous l'effet du phosgène après avoir arraché son masque à gaz |
Les gaz de combat furent l’arme la plus terrible et la plus cruelle pendant la guerre de 1914-1918. Des milliers de malheureux gazés ayant échappé à la mort traînèrent leurs poumons rongés dans les hôpitaux. De plus tous les gaz du chlore à l’ypérite attaquaient les yeux de ceux qui n’avaient pas su ou pas pu garder les lunettes de protection ou le masque à gaz.
BIBLIOGRAPHIE :
Histoire universelle des armées . Robert Laffont.
L’Illustration 1914-1918.
Le grand album des armes, gazette des armes de 1985.
La Légion en 14-18 de Pierre Dufour.
Larousse universel de 1922.
Notes:
[1] Suivant des statistiques sur la balle « S » publiées par les Allemands, 80% de ces balles se renverseraient lors des tirs de combat
[2] En ajoutant du salpêtre au naphte et au soufre, on obtenait un mélange dont l’extinction était très difficile. Ce mélange est à l’origine de la poudre noire.
[3] Dans son livre Le drame de l’Yser », le général Mordacq a écrit : « En même temps, l’action des « gaz sur les voies respiratoires se faisait sentir : brûlures de la gorge, douleurs thoraciques, essoufflements et crachements de sang, vertiges. Nous nous crûmes tous perdus. »