Les SAS (Sections Administratives Spécialisées)
- Catégorie: Conflits d'afrique du nord (1952 - 1964)
Mémoire
Ils étaient aussi appelés « les SAS »
Depuis la fin de la guerre d’Algérie nous avons désormais deux épopées des « SAS ». Elles n’ont entre elles aucun point commun si ce n’est le courage exceptionnel des hommes et leur foi dans la grandeur de la mission au point de les conduire jusqu’au sacrifice suprême.
La première épopée a été écrite par les parachutistes du Special Air Service. Elle est connue. Ouverte par le capitaine britannique David Stirling à partir de 1941, elle s’est construite tout au long d’actions d’éclat individuelles dans le désert de Libye contre les forces allemandes et italiennes, puis en Europe, notamment en France avec le 4th SAS/2e RCP du commandant Bourgoin en Bretagne et le 3th SAS/2e RCP du commandant Château-Jobert au cours de ses raids éclair en jeeps armées sur la Vendée, le Centre et jusqu’à la Saône-et-Loire de Sennecey. J’ai raconté dans un livre les exploits en août 1944 en région lyonnaise de ces hommes au béret amarante dont j’ai souvent ici même évoqué la mémoire.
L’autre épopée que nous allons largement développer dans ce bulletin est celle des Sections Administratives Spécialisées, créées en Algérie au milieu de l’année 1955 pour disputer à la rébellion et sur son propre terrain l’enjeu que constituait la population musulmane du Bled et des montagnes, sous-administrée et confinée dans un sous-développement chronique. Ce combat-là, fort différent de celui, purement militaire, des paras, était aussi une affaire d’hommes, d’individualités fortes, agissant en quelque sorte, comme leurs aînés de la Seconde Guerre mondiale, sur les arrières ennemis. On prit très vite l’habitude de les appeler eux aussi « les SAS », non pas pour les comparer aux premiers, mais parce qu’ils s’intégraient pleinement à cette fonction administrative vraiment « spécialisée ».
Détachés de l’armée de terre auprès des autorités civiles, ces hommes représentaient une très petite minorité des effectifs militaires engagés contre la rébellion mais on leur demanda beaucoup. Ils étaient eux aussi tous volontaires pour une mission à haut risque d’une toute autre nature. Les SAS paras de 1941-42 n’avaient aucune tradition historique puisque les premiers commandos inventèrent eux-mêmes leurs procédés de combat, des raids fulgurants, d’une audace incroyable, qui désorganisèrent sérieusement l’adversaire et eurent sur lui des effets psychologiques durables. Au contraire, les nouveaux « SAS » en Algérie pouvaient puiser leurs modes d’action dans les traditions très anciennes des Affaires indigènes du Maroc, les légendaires AI, où ils recrutèrent initialement. Un savoir-faire qui leur fit gagner beaucoup de temps.
Le courage et la foi dans la mission, ai-je écrit. Du courage, il en fallut aussi beaucoup aux « SAS » d’Algérie pour accepter de vivre dans un isolement matériel quasi total, dans un environnement initialement hostile. J’ai assisté, au début de l’année 1955 au cœur du massif des Aurès, à l’éclosion de l’idée d’implanter ces cellules légères auprès des douars isolés. Pour ces hommes qui acceptaient de quitter le confort relatif mais rassurant de l’unité constituée, chaque nouveau jour était une nouvelle aventure. Plus tard, au cours des années 1956 à 1958, engagé dans d’autres secteurs de l’Algérie, j’ai pu constater les progrès remarquables réalisés sur le terrain par ces équipes qui avaient pris de l’ampleur et marqué des points décisifs contre une rébellion qui s’était dans le même temps renforcée. Ce n’est véritablement qu’après les résultats des grandes opérations du Plan Challe auxquelles j’ai participé à partir du début de l’année 1959, que j’ai mesuré les progrès réels de la pacification autour des zones de fixation créées par les « SAS ». Les bandes rebelles fortement décimées et déprimées n’avaient plus les moyens de se reconstituer depuis les frontières tunisienne et marocaine solidement verrouillées. Le travail des « SAS », augmenté et valorisé par l’apport matériel considérable du Plan de Constantine pouvait alors donner toute son efficacité.
La foi dans la mission ? Il fallait qu’elle soit forte pour supporter l’incertitude qui pesa sur le devenir de l’Algérie dès la fin de l’année 1959. « Hélas ! hélas ! hélas ! ... », pour reprendre ce début de phrase d’un discours célèbre (*). Entre les « Je vous ai compris » et « Vive l’Algérie française » du milieu de l’été 1958 et les « Algérie algérienne » de novembre 1960 les petites phrases aux grands effets poursuivaient inexorablement leur chemin vers l’abandon du 19 mars 1962. Un anniversaire que certains s’apprêtent à célébrer avec faste dans quelques jours !
« Des hommes dont c’était le devoir, l’honneur, la raison d’être, de servir et d’obéir » durent, dans le désespoir, abandonner leurs SAS, leurs moghasnis et les populations qui leur avaient confiance et les livrer à la vengeance de ceux que la politique gaullienne avait désignés comme les vainqueurs de cette guerre.
Triste fin d’une exaltante aventure.
François LESCEL Président de la Farac
(*) Celui que le président de la République, en uniforme, prononça de l’Elysée au lendemain du putsch des généraux du 22 avril 1961. Le paragraphe du discours au milieu duquel se trouvait cette triple interjection était le suivant : "Voici que l’Etat est bafoué, la nation bravée,... /.... Et par qui ? Hélas ! hélas ! hélas !... par des hommes dont c’était le devoir, l’honneur, la raison d’être, de servir et d’obéir"
LES SAS EN ALGÉRIE
(sections administratives spécialisées)
L’expérience originale des SAS a duré sept ans, presque autant que la guerre d’Algérie. C’est déjà souligner qu’elle fut l’un des moyens d’action utilisés pour ramener la paix dans ce malheureux pays. Elle prit naissance en 1955 sur le constat, par les dirigeants de la 4e République, des carences graves de l’administration française dans les trois départements algériens et des discriminations flagrantes dont était victime la population musulmane. Elle prit fin brutalement en 1962 après que le nouveau maître de la 5e République eut décidé de se débarrasser au plus vite du fardeau algérien.
Les Affaires indigènes (AI), une tradition ancienne en AFN
Dès les premières années de la Conquête, il apparut nécessaire d’administrer les populations et d’organiser le développement des territoires passant sous la responsabilité de l’armée française. Tout naturellement, on fit appel à des officiers présents sur le terrain qui se spécialisèrent progressivement. En Algérie, au milieu du XIXe siècle, on créa les Bureaux arabes ; en Tunisie, les confins saharo-tunisiens furent administrés par le service de renseignement du Sud tunisien ; au Maroc, le même type de service, devenu celui des Affaires indigènes, les « AI », développé par le Maréchal Lyautey, connut un rayonnement extraordinaire au point de devenir la base de l’administration initiale du pays et de créer le corps prestigieux des officiers des « AI » au képi bleu ciel devenu légendaire avec les Bournazel et autres personnages de légende.
Mais à mesure que se transformait l’Algérie, au point de devenir trois départements français, les Bureaux arabes laissèrent la place à l’administration civile pour disparaître complètement entre 1870 et 1880 en Algérie du Nord. En 1954, au moment où commencèrent les événements d’Algérie, seul subsistait au Sahara, dénommé Territoires du Sud, l’administration militaire sous la responsabilité des officiers des Affaires sahariennes.
Une sous-administration chronique
L’une des causes de la rébellion algérienne et l’une des raisons de son succès initial dans les zones montagneuses ont été la sous-administration que subissait de manière criante la population musulmane dans la profondeur du pays : inadaptation des statuts, insuffisance et manque de formation et de motivation des fonctionnaires civils, carence des infrastructures, défaillance des services scolaires, sanitaire et social. En effet, si les trois départements algériens, Alger, Oran et Constantine, fonctionnaient théoriquement comme en Métropole avec leurs services préfectoraux et leurs sous-préfectures, les communes étaient administrées différemment selon qu’elles étaient de « Plein Exercice » comme leurs homologues de l’Hexagone ou « Communes Mixtes » sous la tutelle d’administrateurs civils.
Les autorités d’Alger en tirent immédiatement les conséquences. Parallèlement au quadrillage militaire qui s’étend rapidement sur l’ensemble de l’Algérie et en toute priorité dans les massifs montagneux où s’est développée la rébellion, il est mis en place auprès des Communes Mixtes une administration spéciale sous responsabilité civile. Son objet est aussi de lutter contre les agissements du FLN mais en le combattant directement sur son propre terrain, celui du contrôle de la population dans les zones d’accès difficile et dangereux qui ne peuvent être constamment protégées par la présence des forces de l’ordre.
Dès le début de 1955, les premières expériences sont menées là même où a pris initialement corps la rébellion en novembre 1954, le massif des Aurès où le général Parlange, [1].un ancien des AI, cumule les pouvoirs civils et militaires.
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Membres de SAS | Paysage algérien |
L’organisation originale des SAS
Ainsi sont créées à l’été 1955 les premières Sections Administratives Spécialisées (SAS). Le général Parlange fait naturellement appel à d’anciens officiers et sous-officiers des AI du Maroc. Sous l’impulsion de Jacques Soustelle, devenu Gouverneur général de l’Algérie [2], les SAS sont implantées en priorité dans le Constantinois, puis s’étendent en Algérois, principalement en Grande Kabylie. A la fin de 1961, elles seront plus de 700, réparties sur toute l’Algérie, avec des échelons de liaison auprès des préfectures et des sous-préfectures dont le nombre, entre temps, aura été accru. [3]
En volume, le personnel militaire affecté aux SAS demeure modeste, comparé à l’ensemble des forces armées engagées en opérations. Au début de 1960, sur un total voisin de 400 000 hommes, les SAS en utilisent 210 000, dont 1 300 officiers et 590 sous-officiers, auxquels s’ajoutent 2 800 attachés (radios, secrétaires, interprètes, infirmiers). La sécurité des SAS assurée par les Moghasnis totalise 20 000 hommes payés sur le budget civil alors que les Harkis, bien plus nombreux (60 000), employés par les unités de secteur, le sont sur le budget militaire.
Une SAS regroupait en moyenne entre 6 000 et 10 0000 habitants et étendait sa responsabilité sur une circonscription variable selon la densité de la population, entre la centaine de kilomètres carrés pour les montagnes du Tell, les plus peuplées et le millier pour les zones pré-sahariennes, les plus réduites.
Commandée par un capitaine ou un lieutenant, la SAS type disposait d’un sous-officier d’active, de personnel civil (secrétaire, comptable, radio, assistante médico-sociale, chauffeur, interprète) et d’un élément de protection, le maghzen, constitué de trente à cinquante moghaznis. Pour les SAS plus importantes, le chef de SAS pouvait avoir, en outre, un adjoint, le plus souvent du Contingent, sous-lieutenant ou aspirant volontaire, qui assurait l’intérim du chef de SAS. Toute une étude pourrait être consacrée au choix et à la personnalité de ces jeunes officiers de réserve, appelés ou rappelés, qui montrèrent à leur poste des qualités exceptionnelles de dévouement et de compétence et qui, en tout cas, furent tous marqués par leur expérience. Plusieurs Pieds-Noirs avaient été sélectionnés pour leur connaissance du pays et de la langue arabe mais on y trouvait le plus souvent des jeunes gens venant de Métropole passés par une affectation initiale en corps de troupe, certains sortant de l’ENA, de l’École de la France d’outre-mer (ex-École coloniale) ou des séminaires [4]
Cette SAS type, en prenant du succès local, pouvait être agrandie par l’adjonction d’un dispensaire familial ou d’une infirmerie et justifier alors de l’affectation en propre d’un médecin auxiliaire venu lui aussi du Contingent. Enfin, une école primaire venait souvent compléter les moyens de la SAS avec, là encore, de jeunes instituteurs appelés ou des jeunes filles sous contrat, tous volontaires pour servir dans ces conditions particulièrement difficiles.
Les moyens de la SAS devaient permettre un minimum d’autonomie. Des moyens radios la reliaient à la fois aux unités militaires locales et à l’autorité civile. Un véhicule léger et deux ou trois camionnettes, souvent d’origine commerciale, permettaient d’assurer les liaisons et les transports de nécessité et les mouvements de protection ou d’intervention du maghzen. Quelques chevaux de selle, parfois des mulets, pouvaient venir compléter ces moyens de déplacement.
Cependant, la solidarité d’armes a joué très largement en faveur des chefs de SAS de la part des officiers des unités de secteur qui avaient conscience de l’isolement de leurs camarades au képi bleu ciel. Les SAS ont ainsi bénéficié des moyens de transport, des outillages moyens et lourds du Génie et souvent de la main d’œuvre militaire pour des travaux occasionnels.
Les multiples missions des SAS
Après une brève expérimentation dans le massif des Aurès, les décisions sont rapidement prises. Un arrêté du 26 septembre 1955 crée le service des Affaires algériennes (AA), rattaché directement au cabinet militaire du Gouverneur général. Il est constitué d’officiers « destinés à assurer toutes missions d’encadrement et de renforcement des personnels des unités administratives et des collectivités locales ».Une formulation assez vague qui permet le cumul de multiples missions en fonction des situations locales.
Et, de fait, si la mission principale est de lutter contre la sous-administration générale dont sont victimes les populations musulmanes en reprenant d’abord contact avec elles et en rétablissant leur confiance, il s’agit bien, en objectif final, de lutter contre la pression et le contrôle exercés par le FLN sur celles-ci, ainsi que le précise Jacques Soustelle : « Il faut reprendre pour ainsi dire à l’envers le travail des fellaghas. Ils terrorisent ? À nous de rassurer. Ils désorganisent ? À nous de réorganiser. Ils brisent le ressort des populations pour les empêcher de se défendre ? À nous de leur rendre le goût et la possibilité de résister. » [5]
Les missions administratives
Les chefs de SAS, détachés auprès de l’administration civile et placés directement sous les ordres du sous-préfet, représentent le pouvoir central auprès des populations dans les domaines administratif, économique et social. Ils deviennent officiers d’état civil. En outre, en 1957, un décret leur attribue les pouvoirs de police judiciaire.
Mais leur pouvoir administratif ne cesse de s’étendre. En effet, une réforme administrative supprimant les communes mixtes pour les remplacer par celles de plein exercice intervient en 1956. Il est alors demandé aux officiers SAS de combler le vide provisoire en assurant la tutelle des nouvelles communes créées sur le modèle des communes métropolitaines par la recherche et la formation de délégués de la population en attendant la venue d’une période, après pacification, qui permettra l’élection de véritables municipalités. Ils doivent aussi prendre en charge le recensement et la mise en ordre de l’état civil et participer à la mise en place de la réforme communale.
A partir de 1958, apparaît une troisième phase d’extension des tâches administratives des SAS. Avec l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle et l’adoption du Plan dit de Constantine [6], la manne financière, certes tardive, arrive enfin. Les SAS ouvrent un peu partout des chantiers dont ils assurent la maîtrise d’œuvre : routes, adductions d’eau, marchés, écoles, dispensaires...
Les missions militaires
Mais l’organisation des SAS procède aussi d’une logique militaire qui se traduit dans le choix et le nombre de leurs implantations. Celles-ci obéissent à l’action générale de lutte contre les bandes armées, entreprise, d’une part, par le quadrillage, d’autre part, par les opérations d’action d’ensemble qui se développent sur vaste échelle avec la mise en œuvre du Plan Challe au début de l’année 1959.
Dans les deux cas, les SAS remplissent une mission permanente de renseignement qu’ils peuvent remplir dans des conditions efficaces du fait de leurs contacts étroits avec la population et de la présence de leurs unités de moghaznis recrutés directement au sein de la population dont ils ont la charge.
À partir de mai 1959, pour soulager les unités de secteur et dégager des effectifs plus nombreux consacrés à l’action générale et pour tenir compte aussi du « degré de pacification » [7] obtenu, certaines SAS se voient confier la responsabilité de sous-quartiers (du niveau de la compagnie de combat). Elles sont alors appelées « SAS renforcées » [8] et le chef de SAS, tout en conservant ses attributions administratives habituelles qui le rattachent au sous-préfet, passe sous les ordres directs du commandant de secteur dont il exécute les directives sur le plan opérationnel. Le « renforcement » se concrétise surtout par la mise à sa disposition d’unités de Harkis et d’une équipe de commandement plus étoffée. Ces dispositions sont particulièrement appliquées dans le corps d’armée d’Oran, où 75 sous-quartiers sur 130 sont commandés par des chefs de SAS en 1961.
Les missions humanitaires
Il est permis de regrouper sous cette appellation de nombreuses actions inspirées de celles menées par Lyautey et selon la tradition des AI au Maroc. A notre époque, elles pourraient relever des activités des ONG. En pleine guerre d’Algérie où l’insécurité était totale dans les zones montagneuses, ces actions ne pouvaient être organisées sans passer par le soutien et le contrôle des chefs de SAS. C’était le cas, notamment, de l’action sanitaire et sociale, facilitée par l’affectation progressive de jeunes médecins du Contingent et de personnels infirmiers ou par la participation des unités sanitaires les plus proches appartenant aux structures des quartiers et sous-quartiers sous responsabilité de l’Armée. En outre, des cellules spécialisées, les EMSI (Equipes Médico-Sociales Itinérantes) et les AMG (assistance médicale gratuite) ont été créées en 1957, annexées ou non aux SAS.
Des écoles primaires sont aussi créées à côté de la SAS. Elles répondent à la volonté affichée dans le Plan de Constantine de lutter contre l’analphabétisme. Un instituteur venu du Contingent vient alors compléter l’équipe de la SAS. Enfin, des équipes féminines, souvent animées par l’épouse du chef de SAS aident les femmes musulmanes dans de nombreux domaines comme ceux de l’hygiène, de la puériculture, de l’artisanat...
Il se crée aussi le SFJA (Service de Formation de la Jeunesse algérienne), dépendant comme les SAS du service des Affaires algériennes. Une école a été ouverte à Issoire dans le Puy de Dôme pour former en six mois de jeunes algériens capables dès leur retour en Algérie d’encadrer, de diriger, de conseiller au sein des SAS des foyers de jeunes, voire des foyers sportifs pour occuper la jeunesse désœuvrée. Certains centres de SFJA étaient intégrés dans les SAS, d’autres restaient indépendants.
Périodiquement et de manière saisonnière, des distributions de vivres, de céréales, de semences sont assurées par la SAS. De même, des chantiers de reboisement et de captage d’eau sont ouverts. Mais c’est surtout à mesure que s’étendent les zones interdites et leurs conséquences, les regroupements des populations de certains douars, afin de les soustraire à l’action subversive du FLN, que les SAS ont joué un rôle de bâtisseur en construisant des villages nouveaux plus facilement accessibles, en mesure de bénéficier d’une protection plus efficace des unités de secteur et d’une action sociale plus concentrée.
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Écoliers algériens | Puit algérien |
L’insécurité permanente
Par nature, les SAS devaient être implantées au cœur de la population rurale musulmane puisque leur mission prioritaire était de lutter contre la sous-administration et le sous-développement. En outre, il s’agissait d’établir ou de restaurer la confiance entre les autorités de la France et la population soumise à la terreur des bandes du FLN. Ce que ne pouvait favoriser une présence trop voyante des troupes françaises.
Ainsi s’est posée très vite la question de la sécurité des SAS. Celles-ci ne pouvaient être intégrées au dispositif militaire sous peine de discrédit. Elle devaient donc veiller par elles-mêmes à l’organisation de leur propre sécurité par un dispositif suffisant mais sans ostentation, qui se révéla en général efficace. Concrètement, le chef de SAS, son équipe, sa famille le cas échéant, ses moyens de commandement étaient groupés dans une enceinte fortifiée, le Bordj classique tel qu’il était déjà conçu à l’époque de la conquête ; les services étaient répartis à l’extérieur au sein de la population dans un cercle d’une centaine de mètres autour de la SAS.
Restait à assurer la sécurité des mouvements permanents des membres de la SAS, dont la mission générale était le contact avec la population. Proies faciles pour les assassins du FLN.
Les personnels des SAS ont payé très cher leur engagement. Les trois principales circonstances des décès furent l’assassinat ou l’attentat individuel visant en toute priorité le chef de SAS, l’homme à abattre, l’embuscade sur les itinéraires habituels de déplacement et l’opération militaire visant à détruire des éléments rebelles repérés [9]
« L’Algérie algérienne » et la fin de l’expérience
Le 1er juin 1958, à la suite de l’insurrection d’Alger du 13 mai, le général de Gaulle était porté à la présidence du Conseil de l’époque par l’Assemblée nationale et investi par celle-ci de pouvoirs spéciaux pour résoudre la crise algérienne. Le 4 juin, il effectuait en Algérie son premier voyage qui s’achevait le 7. Pendant ces quatre jours, il lançait d’abord à Alger son fameux « Je vous ai compris », puis à Mostaganem son célèbre « Vive l’Algérie française », deux déclarations complétées au cours du même voyage par d’autres phrases qui ne pouvaient laisser le moindre doute sur la politique qu’il entendait mener en Algérie pour assurer l’avenir des différentes composantes de sa population : « Dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière [...], avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. »
Et de fait, le 3 octobre, comme nous l’avons rappelé plus haut, celui qui n’est encore que président du Conseil de la 4e République pour devenir le mois suivant le premier président de la 5e propose au cours de son troisième voyage en Algérie son Plan de Constantine destiné à gommer les inégalités entre les communautés. C’est, rappelons-le encore, sur la base de ce plan que s’est vigoureusement développée l’expérience des SAS. A la fin de cette année 1958, la quasi-totalité des cadres des armées fait corps derrière de Gaulle qui leur a fixé une mission qui leur paraît claire et exaltante, la pacification de l’Algérie par les deux voies complémentaires et inséparables de l’élimination militaire de la rébellion et du développement économique et social des zones les plus défavorisées. Aux grandes unités du Plan Challe l’effort principal pour la première, aux SAS celui de la seconde.
Et chacun se met au travail dans l’enthousiasme général. Au moins pendant toute l’année 1959, au cours de laquelle l’audience du FLN recule sérieusement dans le bled en même temps qu’il subit des pertes considérables à la suite des grandes opérations du plan Challe sans pouvoir être soutenu des frontières fermées par les barrages électrifiés.
Cependant, dès le milieu de cette même année 1959, un premier doute, insidieux, s’installe dans l’esprit de certains cadres des SAS. À l’occasion d’une cérémonie de fin de stage d’une promotion d’officiers SAS organisée le 30 juin 1959, au cours de laquelle est inaugurée une salle de cours portant le nom du lieutenant Schoen [10], tué à la tête de sa SAS, le 18 février précédent, un vif échange de propos a lieu entre le Délégué général Paul Delouvrier et les officiers SAS présents sur l’utilité du sacrifice du jeune officier vis-à-vis de la détermination réelle du Président de la République à poursuivre l’œuvre entreprise en Algérie conformément à ses déclarations de l’année précédente. En tout cas, les réponses du Délégué général ne semblent pas avoir dissipé les inquiétudes des participants.
Et d’ailleurs, à l’occasion du voyage suivant du chef de l’Etat, du 27 au 30 août, on entend murmurer l’idée d’une « autodétermination ». C’est, en effet, ce qu’il évoque publiquement quelques jours plus tard, le 16 septembre, en parlant du « droit des Algériens à l’autodétermination » et en proposant trois solutions : la sécession, la francisation ou l’association à la République française. Ce jour-là, commence le processus qui va s’accélérer et conduire à l’indépendance de l’Algérie en 1962. On en connaît les étapes dramatiques.
Le 4 novembre 1960, de Gaulle annonce le référendum sur l’autodétermination et, franchissant une nouvelle étape dans l’expression de sa pensée ou dans l’évolution de sa volonté politique - le saura-t-on un jour ? - il prononce les mots d’« Algérie algérienne » et évoque la perspective d’un « gouvernement de la République algérienne ».
Dès lors, plus que leurs camarades de l’armée régulière parce que leur mission était d’être au contact le plus étroit de la population du bled, les officiers SAS vivent l’année 1961 comme un véritable drame personnel. De plus en plus, au moment où ils disposent des moyens de développement considérables du Plan de Constantine, ils sont amenés à croire que l’issue du processus politique engagé conduira inéluctablement à l’abandon des populations dont ils ont la charge. Ils sentent que le jour est proche où ces populations qui se sont rangées à leurs côtés seront livrées à la vengeance du FLN que la politique gaullienne désigne déjà comme les futurs vainqueurs.
Après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, dont on sait qu’il ne fut respecté que d’une seule des deux parties, beaucoup d’officiers SAS tenteront de sauver l’essentiel d’une œuvre pour laquelle ils avaient beaucoup donné. Mais, à l’heure de l’abandon, l’essentiel était ce capital humain qui s’était bonifié autour d’eux, tous les moghasnis et leurs familles qu’il s’agissait de protéger.
Dans les semaines qui suivirent le 19 mars, le dispositif des SAS fut resserré, les SAS les plus isolées abandonnées et les moghaznis désarmés, comme leurs camarades Harkis. Des officiers S.A.S. réussirent parfois à faire passer en Métropole quelques uns de leurs moghaznis en dépit des interdictions formelles, maintes fois renouvelées, des autorités d’Alger.
En juin 1962, les SAS étaient dissoutes. Ensuite, pendant des mois et même des années, la vengeance des nouveaux maîtres de l’Algérie put s’exercer en toute quiétude.
François LESCEL Président de la Farac
BIBLIOGRAPHIE:
Soustelle (Jacques), Aimée et souffrante Algérie, Paris, Plon 1956,
Andoque (Nicolas d’), 1955-1959, Guerre et paix en Algérie, l’épopée silencieuse des SAS SPL 1977,
Frémeaux (Jacques), L’Afrique à l’ombre des épées, les territoires militaires en Afrique française (1830-1930), Service historique de l’armée de Terre 1993-1995,
Frémeaux (Jacques), Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Paris Denoël 1993, ouvrage couronné par l’Académie des sciences d’outre-mer,
Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, Paris Economica 2002,
Kayanakis (Nicolas), Algérie 1960 : la victoire trahie. Guerre psychologique en Algérie, Friedberg (BRD) Éd. Atlantis 2000.
Lamodière (Alexandra), L’action sociale et éducative des SAS en Oranie (octobre 1955- juillet 1962), mémoire de maîtrise, Sorbonne dir. J. Frémeaux 2000,
Mathias (Grégor), Les SAS, une institution ambiguë, entre idéal et réalité, Paris L’Harmattan, 1998,
Mahieu (Alban), L’armée française en Algérie en 1961, mémoire de maîtrise Sorbonne, dir. J. Frémeaux, 1996,
Les SAS, bulletin historique de liaison des Anciens des Affaires algériennes. Nombreux témoignages d’anciens officiers et sous-officiers SAS,
Le Casoar, revue de la Saint-Cyrienne, témoignage du général Jacques Pagès Avril 2001.
NOTES:
[1] Le Général Georges PARLANGE, qui exerçait un commandement à Agadir, fut appelé du Maroc le 28 avril 1955 pour devenir le Préfet des Aurès-Némentcha avec l’attribution de pouvoirs civils et militaires exceptionnels
[2] Jacques SOUSTELLE (1912-1990), ethnologue, intellectuel pacifiste avant-guerre, Français libre dès juin 1940, une première fois en contact avec l’Algérie en 1943-44 où il fut le chef de la Direction générale des Services secrets (DGSS), ministre de l’Information puis des Colonies en 1945 dans le Gouvernement provisoire, organisateur du RPF à partir de 1947, devint l’un des plus farouches partisans de l’Algérie française quelques semaines à peine après sa nomination au Gouvernorat général de l’Algérie le 25 janvier 1955. Un an plus tard, il fut rappelé par Guy Mollet, nouveau président du Conseil et remplacé par Robert Lacoste (février 1956)
[3] En outre, 20 SAU (sections administratives urbaines) ont été créées dans les quartiers musulmans des grandes villes, notamment dans la Casbah et la périphérie d’Alger.
[4] Monseigneur Jacques GAILLOT, qui a fait la carrière médiatique que l’on sait, fut l’un d’eux. Il fut adjoint au chef de la SAS de Maoklane, commune mixte de Guergour (Petite Kabylie) et remplaça même quelques mois le chef de SAS, le lieutenant Jacques Pagès, à sa mutation en juin 1958.
[5] Jacques Soustelle, Aimée et souffrante Algérie.], 305 pages, Paris, Plon, 1956, p. 227
[6] Le Plan de développement économique et social en Algérie, appelé Plan de Constantine (1959-1963) à la suite de son annonce par le général de Gaulle lors de son discours dans cette ville le 3 octobre 1958, est un programme économique dont la mise en œuvre est confiée à Paul Delouvrier (1914-1995), nommé Délégué général du gouvernement en Algérie de 1958 à 1960.
[7] Directive N° 38/IGAA/Cab, Alger, 18 mai 1959.
[8] Ce fut le cas, par exemple, de la SAS d’Aziz, dans l’arrondissement de Boghari (Sud algérois) à laquelle fut affecté le sous-lieutenant Jacques Nardin, adjoint au chef de SAS, l’actuel délégué Rhône-Alpes-Auvergne des Anciens SAS.
[9] Assez étonnamment, les trois camarades de promotion de l’auteur, chefs de SAS Morts pour la France en Algérie, ont été tués dans ces trois circonstances différentes.
[10] Le lieutenant Yves Schoen, de la même promotion de Saint-Cyr que l’auteur (1951-1953), était le fils d’un officier des AI et parlait couramment l’arabe et plusieurs dialectes berbères. Sa première affectation en 1954 avait été naturellement le 2e RTM à Marrakech, mais sa véritable vocation était les AI. Nul ne fut étonné de le voir sortir major du premier cours des officiers SAS organisé en 1957. Il commandait la SAS de l’Alma (35 km est d’Alger) depuis août 1957 lorsqu’il fut tué à la tête de son maghzen au cours d’une opération dans son secteur.