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Les massacres d'ORAN - 5 juillet 1962

Mémoire

Le 5 juillet prochain, au monument aux morts de la ville d’Oran rapatrié au cœur du quartier de la Duchère (5e arrondissement de Lyon), sera commémoré le cinquantenaire des dramatiques événements qui marquèrent les premiers jours de l’indépendance algérienne dans la seconde ville du pays.

Les associations de la Farac sont invitées à montrer généreusement à cette occasion leur solidarité avec les familles des victimes des massacres qui furent nombreuses au cours des semaines suivantes à être hébergées dans ce quartier en pleine rénovation à l’époque. La ville de Lyon avait alors pris l’initiative de les y accueillir et de les y installer dans l’urgence.

Le texte qui suit, loin d’être exhaustif sur un drame qui laisse encore bien des zones d’ombre et des points de controverse, a pour simple objet de situer le cadre des événements, l’ampleur des massacres et la nature des responsabilités aux différents échelons, en somme, de sensibiliser le lecteur sur un drame national qui n’est pas assez évoqué à notre époque où l’on affirme à tout instant le devoir de Mémoire. In fine, quelques ouvrages sont cités parmi de nombreux documents consacrés au sujet.

La « fin » de la guerre d’Algérie

Rappelons d’abord le cadre général. Après le déclenchement de l’insurrection au matin du 1er novembre 1954, qui ne concernait nullement la région oranaise, les « événements d’Algérie », alors dénommés ainsi, se développèrent pendant plus de sept ans, y compris sur le plan international, jusqu’au moment où des pourparlers menés à Evian du 7 au 18 mars 1962 entre les représentants du gouvernement français et ceux de la rébellion aboutissaient à un texte, appelé improprement « accords d’Evian », qui ouvrait la voie à l’indépendance de l’Algérie après consultation de la France métropolitaine par le référendum du 8 avril 1962 et celle des populations en Algérie par celui du 1er juillet suivant. Le cessez-le-feu prévu était immédiatement respecté dès le 19 mars par l’armée française mais ne l’était pas, il s’en fallut de loin, par la rébellion et ce fut bien là l’origine profonde du drame oranais.

Pendant ces sept années et demi, la région oranaise s’était toujours signalée par son calme relatif par rapport au reste de l’Algérie, plus particulièrement la ville d’Oran, grande métropole régionale et cité moderne et dynamique qui disposait de la plus large proportion de population européenne, dont la plus forte origine provenait de l’Espagne toute proche.

Mais, dès octobre 1958, soit à peine quatre mois après l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle, les Européens de l’Oranais ressentaient une méfiance grandissante vis-à-vis du chef de l’Etat. Le 23 octobre 1958, celui-ci proposait sa « paix des braves » au F.L.N. [1] et le 16 septembre de l’année suivante il reconnaissait le droit à l’autodétermination du peuple algérien [2]. Cependant les déclarations successives du général laissaient croire peu à peu que la France s’acheminait vers la plus redoutée des trois solutions envisagées, l’indépendance totale. C’est pourquoi, la population oranaise, que le désespoir gagnait, exprima largement, le 22 avril 1961, son approbation de la tentative de putsch des quatre généraux dont l’un d’eux, le général d’armée aérienne Edmond Jouhaud, était un enfant du pays. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’après l’échec du putsch, les Européens ne se firent plus aucune illusion sur l’avenir qui leur était réservé dans la future Algérie, d’autant qu’après le résultat du référendum du 8 janvier 1961 qui donnait une large majorité au profit de l’autodétermination algérienne, ils savaient que le général de Gaulle était bien décidé à se sortir au plus vite du guêpier algérien par la proclamation accélérée de l’indépendance. C’est pourquoi aussi, l’OAS créée le 11 février 1961 avait très vite trouvé un soutien actif à Oran.

A partir du début de 1961, le FLN s’était lui aussi suffisamment infiltré dans la population musulmane de la périphérie oranaise pour lancer une vague d’attentats sanglants dans une ville jusque là épargnée par le terrorisme. L’OAS répliquait par ses propres attentats. Les conséquences de ces radicalisations des deux camps de la terreur furent catastrophiques pour les deux communautés d’Oran qui avaient vécu dans une certaine harmonie. L’OAS développait ses réseaux chez les Européens, cependant que le FLN structurait la population musulmane et les attentats aveugles s’étendaient de part et d’autre, contribuant à accroître la méfiance puis l’hostilité entre les deux communautés au point d’obliger les autorités françaises à installer des séparations armées entre les quartiers européens et musulmans.

Après le 19 mars 1962, la situation les Européens empirait rapidement. En effet, les actes de terreur, de contre-terreur, de répression se multipliaient et la suspicion se généralisait au sein même de la population européenne, entretenue par les entreprises des groupuscules les plus divers, dont les célèbres « barbouses » agissant au profit du pouvoir pour éliminer l’OAS. Il en résultait un climat généralisé de peur et de découragement qui finit par déclencher en avril 1962 le phénomène d’exode des Européens oranais qui ne pourra plus s’arrêter.

Les journées de l’indépendance

Le 1er juillet 1962, le référendum en Algérie, organisé en application des « pourparlers » d’Evian [3] mais dans des conditions contestables et sous la pression de nombreuses bandes FLN qui circulent librement dans toute l’Algérie, donne les résultats que l’on sait : plus de 91 % de « oui » en faveur de l’indépendance.

Le 3 juillet, de Gaulle en tire immédiatement les conséquences et proclame l’indépendance de l’Algérie. Or, vis-à-vis de celle-ci, la situation de la population oranaise n’est pas celle du reste de l’Algérie qui compte un Européen pour dix Musulmans. Dans l’agglomération oranaise, la population était encore en début d’année 1962 à peu près de 220 000 dans chaque communauté. C’était un équilibre et une sorte de sécurité au profit de la communauté européenne bien loin d’être partagés pour le reste de l’Algérie, mais c’était aussi une cause d’affrontement potentiel après toutes les violences des mois précédents.

Malheureusement pour les Européens cet équilibre est largement rompu au 1er juillet après les mouvements de rapatriement amorcés en avril, accélérés en mai et devenus phénomène de panique en juin, accentué encore du fait qu’est vite apparue la pénurie des transports maritimes et aériens [4]. Au 1er juillet, il ne reste plus, selon les estimations, que 100 000 Européens parmi lesquels de nombreux groupes de l’arrière pays, eux aussi atteints par la panique générale, qui se sont réfugiés dans la ville dans l’espoir de franchir la Méditerranée.

Pourtant les autorités françaises (commandement militaire) et algériennes (GPRA) sont conscientes des risques d’explosion car des enlèvements d’Européens sont signalés un peu partout, y compris à la périphérie d’Oran, à la limite des quartiers des deux communautés. Chaque camp se veut rassurant quant à la protection de la population européenne et, depuis le 25 juin, des véhicules militaires français sillonnent les quartiers européens pour les assurer de la protection de l’armée française. Le 28 juin, un Comité de réconciliation entre les deux communautés se tient à la préfecture et le chef de l’ALN d’Oran, le capitaine Bakhti, qui est en contact direct avec le général Katz, commandant le Groupement autonome d’Oran (GAOR) et par intérim le corps d’armée d’Oran, garantit lui-même la sécurité des Européens et même leur avenir dans le nouvel état algérien.

Le 4 juillet, la déclaration française d’indépendance de l’Algérie paraît au Journal officiel [5].

Arrive le 5 juillet 1962, la date retenue par les autorités algériennes pour la célébration officielle de l’indépendance. Or, chaque jour de ce début juillet a son importance extrême. : le 1er c’est le référendum, le 2, le constat des résultats, le 3, la proclamation française de l’indépendance, le 4, sa publication du journal officiel, mais seulement le 5, l’appel à son expression populaire. Les esprits de la communauté musulmane ont largement le temps de s’échauffer ! Et les manœuvres provocatrices de s’organiser.
L’appel à la manifestation du 5 juillet.

Et, de fait, depuis le 1er juillet des manifestations musulmanes plus ou moins spontanées ont éclaté dans toute l’Algérie et bien entendu à Oran. Elles ne paraissent pas devoir dégénérer car elles prennent d’abord le caractère de fête joyeuse et populaire.
A Oran, sur la suite à donner à celles-ci les attitudes semblent diverger entre les deux expressions du nouveau pouvoir , d’une part, le chef de la wilaya V (Oranie), le colonel Othmane, acquis à l’ALN de l’extérieur, qui a fait converger ses katibas sur la ville dont des éléments ont commencé à défiler depuis le 3 juillet en encadrant les manifestants, d’autre part, le capitaine Bakhti, représentant du GPRA, en contact officiel avec le général Katz, dont les ordres à la population donnent l’apparence de la contradiction. Ce qui est sûr, c’est que le 4 au soir sur Radio-Alger, le GPRA a appelé pour le lendemain aux grandes manifestations populaires dans toute l’Algérie. Le GPRA veut donc bien tenir l’indépendance entre ses mains. Mais dans le même temps, à Oran, le capitaine Bakhti affirme qu’aucune manifestation n’est prévue et a appelé à la reprise normale du travail. Il n’a donc pas prévenu le général Katz d’une manifestation possible pour le lendemain et, celle-ci s’étant déclenchée avec tous ses débordements dramatiques, il ne le préviendra qu’en début d’après-midi, c’est-à-dire APRES le début des massacres.

La question de savoir qui a finalement appelé à manifester dans la ville européenne et qui a orienté le sens de ces manifestations restera sans doute longtemps sujet à polémique. Les opinions varient entre ceux qui estiment qu’il y a eu détournement délibéré de la liesse populaire vers la violence aveugle et ceux qui dénoncent le « coup monté », mais par qui ?

Quoiqu’il en soit, la manifestation commence très tôt, vers sept heures et perturbe immédiatement la circulation. On y trouve de tout, exprimé par les calicots : les anti et pro-benbellistes qui s’affrontent déjà à Alger pour la prise du pouvoir, les membres de l’ALN avec ses diverses fractions rattachées aux tendances « intérieure » et « extérieure », des représentants plus ou moins autoproclamés du pouvoir local comme les « ATO », sorte de milice jaillie de nulle part et une foule de plus en plus excitée à mesure qu’elle s’enfonce dans la ville européenne. Plusieurs cortèges convergent vers le boulevard Maréchal-Joffre, la grande artère sud-nord, qui débouche sur la place d’Armes, le cœur de la ville (voir carte), où se matérialise l’expression du pouvoir, la mairie, sur laquelle il est prévu de hisser le drapeau du nouvel état.

Vers 11 heures - les témoignages divergent - des coups de feu éclatent sur la place d’Armes archi comble. Tirés par qui et sur qui [6] ? On ne le saura probablement jamais tant le nombre des hommes armés est impressionnant. Rapidement, c’est l’embrasement général. Les victimes au sol sont nombreuses, pour la plupart musulmanes puisqu’elles occupent la place. C’est la panique, la foule s’enfuit dans toutes les directions.

Les massacres et les enlèvements d’Européens

Mais aussitôt la chasse aux Européens commence. On ignore qui prend l’initiative des massacres qui vont suivre. En revanche, concernant leur déroulement ainsi que les enlèvements, les témoins sont unanimes à mettre en cause l’ALN, les ATO et des civils équipés de pistolets et de couteaux. Plusieurs quartiers sont investis, les immeubles envahis, leurs occupants jetés dans la rue quand ils ne sont pas directement assassinés chez eux. Des exécutions sommaires, des lynchages, des scènes de torture, des pendaisons, des mutilations... se font un peu partout. Les témoignages, largement recoupés, qui nous sont parvenus décrivent des atrocités inimaginables. Les principaux lieux de massacres sont concentrés dans les artères qui furent les plus prestigieuses de la ville : place d’Armes, boulevards Joffre, de Sébastopol, de Mascara, place Karguentah, boulevards de l’Industrie, Clémenceau, rue d’Arzew... Le déchaînement meurtrier est général.

Puis, en début d’après-midi les exactions semblent s’organiser sans que l’on puisse déterminer d’où viennent les mots d’ordre. Plusieurs centaines d’Européens sont regroupés et acheminés vers le commissariat central, la préfecture, le quartier musulman de Ville Nouvelle proche du centre européen et plus loin, à la périphérie sud-est, vers le Petit lac où les massacres commencent.
Dans les enlèvements systématiques, la présence des hommes de l’ALN est clairement établie.

Les réactions des autorités françaises

Pendant toute la matinée, les militaires français sont restés confinés dans leurs cantonnements avec interdiction expresse d’intervenir dans des affaires considérées désormais comme relevant des nouvelles autorités algériennes. Mais, dans le même temps, les renseignements sur l’évolution de la situation en ville affluent avec insistance. Ils viennent des nombreux Européens, venus chercher refuge, affolés par la tournure des manifestations et par l’excitation de la foule. Il apparaît vite évident que la moindre étincelle peut faire exploser cette immense poudrière qu’est devenu le centre-ville.

Pourtant, le commandement militaire français, parfaitement renseigné, ne réagit pas et ne prend même pas des dispositions préparatoires en dépit de l’imminence du danger qui menace ses compatriotes. Lorsque les premiers coups de feu sont entendus AVANT midi et s’intensifient rapidement dans les minutes qui suivent, ils n’entraînent pas davantage la moindre réaction du général Katz qui se réfugie derrière ses instructions. Heureusement pour plusieurs centaines d’Européens qui leur doivent la vie sauve, quelques commandants d’unité, désobéissant sciemment aux ordres reçus, se portent en ville au secours de leurs compatriotes et n’ont aucune difficulté, par leur détermination affichée, à libérer leurs compatriotes, prisonniers de groupes armés. C’est le cas, notamment, du lieutenant Rabah Khéliff, bien connu de la Farac, alors commandant d’une compagnie du 30e Bataillon de Chasseurs à Pied (BCP), qui intervient loin de sa base pour libérer de nombreux compatriotes regroupés dans le quartier de la préfecture.

C’est finalement vers le milieu de l’après-midi que les autorités militaires réagissent enfin. L’heure exacte de cette intervention est essentielle pour la détermination des responsabilités des autorités militaires et, évidemment, elle fait l’objet de nombreuses polémiques [7]. Des gendarmes mobiles reçoivent l’ordre de converger sur plusieurs points du centre-ville, vers le palais de justice, la poste centrale, la place Karguentah, devant le cercle militaire... Les témoignages affirment tous que leur seule arrivée amène le calme et la fin des exactions sur les Européens. Mais qu’advient-il ailleurs, notamment aux quartiers plus excentrés où les violences, assassinats et enlèvements se poursuivent pendant tout le reste de la journée ?

Or les gendarmes mobiles sont des forces de deuxième catégorie dont l’emploi est prévu en cas de menace grave pour les nationaux français, mais ils sont insuffisants pour intervenir simultanément dans tous les quartiers menacés répartis sur l’ensemble de l’agglomération oranaise. Et pourtant, pendant ce temps et sur le même espace urbain, sont consignés dans leurs cantonnements entre 15 et 20 000 militaires de l’armée de terre aptes à intervenir dans l’heure, mais considérés comme forces de « troisième catégorie », donc selon les directives, « sur demande expresse des autorités civiles ». Heureusement, à ce niveau-là aussi, désobéissant aux ordres, plusieurs commandants d’unités interviennent et sauvent des Européens.

L’impossible estimation des chiffres

Cinquante ans après ces événements dramatiques, malgré de nombreuses études détaillées et sérieuses sur archives, le nombre des victimes des massacres et des enlèvements reste approximatif. Encore faut-il d’abord s’entendre sur les chiffres proposés. S’appliquent-ils à la seule journée du 5 juillet, aux limites strictes de la ville ou englobent-ils les journées précédentes ou suivantes, car les enlèvements se sont multipliés dans les derniers jours de juin et se sont poursuivis au moins jusqu’au 10 juillet, date à laquelle l’ALN venue du Maroc a pris le contrôle total de la ville. Par ailleurs, la découverte de nombreux charniers à la périphérie de la ville, notamment dans le quartier du Petit Lac, si elle a donné une idée de l’ampleur des massacres, n’a pas permis des identifications précises ni de déterminer parfois à quelle communauté appartenaient les victimes.

Par ailleurs, de quelles victimes parle-t-on ? Des morts, des personnes enlevées puis relâchées ou de celles dont les corps ont été retrouvés, des disparus définitifs ? Comment distinguer les victimes européennes des victimes musulmanes, celles-ci pouvant l’être à des titres divers : représailles pour leur compromission avec la communauté européenne, victimes innocentes dans une confusion générale ou même victimes des réactions de l’ALN dans sa tentative de reprise en main de l’ordre et de trouver à toute force des responsables. On sait aussi que dans cette période trouble où les armes circulaient en tous sens, ont été commis de nombreux crimes qui n’avaient qu’un lointain rapport avec les événements en cours.

C’est pourquoi les chiffres avancés par les uns et les autres peuvent varier de plusieurs centaines à plusieurs milliers. Il est possible néanmoins, pour fixer l’ampleur de la tragédie oranaise, de citer quelques auteurs auxquels il conviendra de se référer. Certains sont signalés dans la bibliographie donnée ci-dessous. Le plus récent et parmi les plus sérieux est Jean-Jacques Jordi dont nous avons présenté l’ouvrage dans Farac Info de février 2012. A la page 96 de son ouvrage qui consacre un long chapitre aux événements d’Oran, il écrit : « Nous pouvons donc affirmer, et en tenant compte des cas dits incertains, que les journées tragiques d’Oran ont fait quelque 700 morts européens (décédés et disparus) auxquels il faut ajouter une centaine de morts musulmans. »
De son côté, Jean Monneret estime « raisonnable, toutes évaluations confondues », d’avancer que l’ordre de grandeur des victimes européennes, mais pour la seule journée du 5 juillet 1962 et à Oran, se situe « dans une fourchette de 400 à 600 ».

Conclusion

Il serait trop simple de mettre les massacres d’Oran sur le compte d’un enchaînement d’événements devenu incontrôlable en raison des circonstances, des passions exacerbées des semaines précédentes, des désespoirs d’une population européenne qui auraient engendré et nourri l’OAS, de la politique de la terre brûlée pratiquée par celle-ci et donc des réactions d’une population musulmane surexcitée dans l’euphorie de l’indépendance que les nouvelles autorités étaient encore incapables de maîtriser. En somme, la fatalité !

Les responsabilités de cette tuerie sont identifiables et largement partagées. Car des faits parfaitement recoupés par des témoignages nombreux montrent que les massacres et les enlèvements multiples de la journée du 5 juillet 1962 pouvaient être réduits à quelques cas isolés comme ils le furent dans les jours précédents et suivants.

Certes, plusieurs factions des nouvelles forces politiques et militaires algériennes qui se positionnaient pour la prise du pouvoir après la proclamation de l’indépendance avaient intérêt, à ce moment précis, à ce que des troubles éclatent, soit pour prouver qu’elles étaient capables d’amener le retour au calme et par conséquent qu’elles étaient à la hauteur de la situation, soit pour jeter hors d’Algérie la communauté européenne qui, selon elles, n’avait plus sa place dans la nouvelle entité nationale, en application du principe maintes fois brandi de « la valise ou le cercueil ». Ces fractions-là ont directement du sang sur les mains.

Mais les autorités françaises de l’époque ont aussi une responsabilité écrasante. C’est d’une évidence criante, comme celle de constater qu’elles se repartissent à trois niveaux, celui d’Oran, celui du commandement à Alger et celui du gouvernement, lui-même écrasé sous la personnalité du chef de l’Etat.

Katz, surnommé par les Pieds-Noirs oranais le « boucher d’Oran », a tenté en vain de justifier les longs retards pris par sa décision d’intervenir dans l’après-midi du 5 juillet alors qu’il lui était impossible d’ignorer depuis le milieu de la matinée l’évolution catastrophique des événements. S’il avait montré la même ardeur à sauver ses compatriotes qu’à combattre l’OAS dans les semaines précédentes, plusieurs centaines d’européens auraient eu la vie sauve. Les initiatives de quelques uns de ses subordonnés, désobéissant sciemment à ses ordres, ont montré que la situation pouvait être retournée à tout moment et, de surcroît, sans qu’il en coûtât à sa carrière devenue par la suite fulgurante. Ses justifications font donc pitié, tous les historiens sérieux sont unanimes sur ce point. Et sa manière de faire porter le chapeau à ses supérieurs est assez minable. Il est vrai que ceux d’Alger n’ont pas spécialement brillé par la clarté de leurs directives ni par le zèle porté à l’étude des situations particulières et qu’ils se sont facilement abrités derrière les directives gouvernementales.

Quant à l’échelon national, nous nous contenterons seulement de rappeler cette phrase du chef de l’Etat, lors du conseil des ministres du 24 mai 1962, au cours duquel Louis Joxe, ministre d’état chargé des affaires algériennes, l’un des négociateurs d’Evian, évoquait la peur, fort justifiée, des harkis et des Européens : « La France ne doit plus avoir aucune responsabilité dans le maintien de l’ordre après l’autodétermination. Elle aura le devoir d’assister les autorités algériennes ; mais ce sera de l’assistance technique. Si les gens s’entre-massacrent, ce sera l’affaire des nouvelles autorités. » [8]

BIBLIOGRAPHIE:

MONNERET (Jean), La tragédie dissimulée : Oran, 5 juillet 1962, Paris, Michalon, 2006.

MONNERET (Jean), La phase finale de la guerre d’Algérie, L’Harmattan, 200.

ISRAEL (Gérard), Le dernier jour de l’Algérie française, Robert Laffont, 1970.

BENAMOU (Georges-Marc), Un mensonge français : retours sur la guerre d’Algérie, Robert Laffont, 2003.

ZELLER (Guillaume), Oran 5 juillet 1962, Un massacre oublié, Tallandier, 2012.

TERNANT (Geneviève de), L’Agonie d’Oran, Nice, Gandini, 2001.

LAPARRE (de SAINT-SERNIN Michel), Journal d’un prêtre en Algérie, Oran1961-1962, Ed ; du Fuseau, Paris 1964.

KATZ (Joseph), L’Honneur d’un général : Oran, 1962, L’Harmattan, 1993.

KATZ (Joseph), Une destinée unique : mémoires (1907-1996), préface de Jules Roy, L’Harmattan, 1997.

JORDI (Jean-Jacques), Un silence d’État : les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, Soteca, 2011.

FAIVRE (Maurice), Les Archives inédites de la politique algérienne : 1958-1962, L’Harmattan, 2000.

NOTES:

[1] Conférence de presse à l’Elysée. « Que vienne la paix des braves... »

[2] Discours radio-télévisé dans lequel il voyait trois choix possibles : « Ou bien : la sécession, où certains croient trouver l’indépendance. [...]

Ou bien : la francisation complète, telle qu’elle est impliquée dans l’égalité des droits [...]

Ou bien : le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyé sur l’aide de la France et en union étroite avec elle, pour l’économie, l’enseignement, la défense, les relations extérieures. Dans ce cas, le régime intérieur de l’Algérie devrait être de type fédéral, afin que les communautés diverses, française, arabes, kabyle, mozabite, etc., qui cohabitent dans le pays, y trouvent des garanties quant à leur vie propre et un cadre pour leur coopération. »
C’est cette troisième solution qui fit l’objet de la question posée au référendum en Algérie du 1er juillet 1962. Nous savons comment évoluèrent, aussi après l’indépendance, les rapports entre la France et l’Algérie.

[3] C’est le terme employé - et non pas « accords » - dans le texte signé à Evian le 18 mars1962 (réf. II. Déclarations gouvernementales ... § A) Déclaration générale)

[4] Des grèves à répétition ont lieu en juin au port de Marseille sous les prétextes les plus divers.

[5] Deux passages (soulignés en gras) méritent attention : "Par le scrutin d’autodétermination du 1er juillet 1962 le peuple algérien s’est prononcé pour l’indépendance de l’Algérie coopérant avec la France".
En conséquence, les rapports entre la France et l’Algérie étant désormais fondés sur les conditions définies par les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 le président de la République française déclare que la France reconnaît solennellement l’indépendance de l’Algérie. »
[Journal officiel, 4 juillet 1962, p. 6483]

[6] Le déclenchement des massacres d’Oran rappelle étrangement celui, trois mois plus tôt, le 26 mars, de la fusillade de la rue d’Isly à Alger lors de la manifestation, cette fois-là des Pieds-Noirs algérois, partisans de l’Algérie française. Cette fusillade des forces de l’ordre françaises fit une cinquantaine de morts et 150 blessés dans la foule européenne.

[7] Le JMO (Journal des Marches et Opérations) du Groupement autonome d’Oran donne 14 h 20 comme heure des ordres d’intervention à la gendarmerie mobile. Mais il faut y ajouter les délais. Les témoignages de leur arrivée sur les différents lieux varient de 15 heures à 18 h 30.

[8] Rapporté par Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle : la France redevient la France, Fayard, 1994, t. I, p. 136. 

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