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HISTOIRE DU CANON DE 75

Mémoire

Les ancêtres du canon de 75

Comme toutes les évolutions importantes, la réalisation de ce fameux canon qui a tant marqué la première guerre mondiale, voire même la seconde, n’a pas eu lieu ex abrupto, mais a été le fruit d’améliorations successives.

Sans remonter à VAQUETTE de GRIBEAUVAL, premier réalisateur d’un système d’Artillerie complet, il est nécessaire cependant de rappeler qu’au début de la guerre de 1870 l’artillerie française était encore pour l’essentiel en bronze, et se chargeait par la bouche. Le souvenir de cette défaite fut suffisamment cuisant pour que la Troisième République se lance, d’une part dans la construction de tout un système fortifié, et d’autre part dans l’industrialisation d’une artillerie capable à la fois d’armer les forts et d’accompagner les armées en campagne. Les gouvernements de l’époque furent aidés par l’existence d’un Comité de l’Artillerie, où figuraient nombre d’officiers supérieurs polytechniciens de grand talent ayant dirigé les études et les fabrications de nouveaux matériels depuis la dernière décennie du Second Empire : TREUILLE de BEAULIEU, REFFYE, LAHITOLLE et bien sûr le lieutenant-colonel RAGON de BANGE.

Le 90 « De BANGE » modèle 1877, tirait déjà à 7000 mètres un obus à ceinture de cuivre et se chargeait par une culasse à vis. En cinq années, grâce à cet officier oeuvrant avec le soutien du pouvoir, la France fut entièrement dotée d’un matériel moderne et efficace couvrant aussi bien les besoins de l’artillerie de campagne que ceux de l’artillerie de siège, de place et de côte. En 1883 l’artillerie française alignait 533 batteries modernes.

En 1884, le chimiste français E.TURPIN inventa la mélinite, puis un autre chimiste P.VIEILLE la poudre « sans fumée ». Beaucoup plus brisants, ces nouveaux explosifs remirent en cause essentiellement la construction des forts qui dut brutalement évoluer. L’artillerie intégra ces inventions dans ses munitions et y gagna en efficacité. Malgré tout un problème demeurait : au départ de chaque coup, l’affût reculait, et il fallait le ramener en position de batterie, ce qui induisait un nouveau pointage, d’où une cadence de tir lente.

Recherche d’un lien élastique entre le canon et son affût

En 1883 un frein hydraulique Mle 1880 fut adopté sur les 120 et 155 mm De Bange de siège et place. Il était placé entre l’affût du canon et la plateforme en bois le supportant. Le retour en batterie étant aidé par la mise en place de plans inclinés ad hoc, derrière les roues. La vraie solution vint la même année du capitaine LOCARD qui présenta un frein récupérateur hydropneumatique, freinant non plus l’affût sur la plateforme, mais le tube lui-même sur son affût. Ce fut l’accès au tir rapide, les canons dits à lien élastique faisaient passer la cadence de 1,5 coup minute à 20 coups minute voire plus.

Ces solutions avaient d’abord été appliquées à des pièces de gros calibre comme le canon LOCARD de 270 mm, le canon de 120 mm Mle 1890 du capitaine BAQUET suivit d’un canon de 155 mm. Les recherches continuaient pour le matériel de petit calibre et on trouve sur ce sujet dès 1887 des noms qui allaient devenir illustres : BAQUET déjà évoqué, DUDROS et SAINTE CLAIRE DEVILLE. De nombreux projets virent le jour, chacun apportant son petit perfectionnement, tel le projet DUCROS sur un 90 de campagne inaugurant une capacité de pointage en direction, à faible champ certes, par coulissement sur l’essieu, la notion de bêche d’ancrage à l’arrière de l’affût rendant impossible le procédé utilisé précédemment de ripage de la crosse. Il faut noter aussi de nombreux progrès sur les munitions.

La naissance du canon de 75

En janvier 1892, le Ministre de la Guerre et le Comité de l’Artillerie définissaient un programme d’étude d’un canon de 75 mm de campagne qui fut le suivant :

Poids : en batterie 1100 kg, caisson-pièce 1700 kg, un attelage de 6 chevaux.
Projectile : obus à balles et explosifs tirés à 600 m/s de vitesse initiale.
Culasse : à vis et obturateur plastique, mise de feu par étoupille.
Dispositif de pointage : en direction sans déplacement de la crosse.
Berceau de pointage en hauteur : permettant une hausse indépendante.

Quatre prototypes furent commandés et construits en 1892 et 1893. Le 75 A du capitaine BAQUET et le 75 D du commandant LOCARD furent rapidement abandonnés. Par la suite le 75 C du lieutenant-colonel DEPORT fut préféré au 75 B à affût rigide ancré par bêche de crosse du capitaine DUCROS. Insatisfait du déroulement de sa carrière, le lieutenant-colonel DEPORT démissionna fin 1894. C’est le capitaine SAINTE CLAIRE DEVILLE qui lui succéda avec le capitaine RIMAILHO comme adjoint.

Un prototype C2 allégé fut créé et les essais reprirent en 1895 avec 3 batteries de 75 C1 et C2, mais le 75 B restait officiellement à l’étude. Cette astuce jointe à une bonne conservation du secret quant à l’avancement des travaux sur le 75 C firent que l’artillerie allemande adopta au même moment, le 77 mm à affût rigide qui se révéla, quelques années plus tard, inférieur à notre 75.

SAINTE CLAIRE DEVILLE perfectionna encore le frein récupérateur, sous forme de type II à diaphragme, et les munitions bénéficièrent également de progrès, en particulier par la détermination d’une hauteur type d’éclatement pour les obus à balles. Tout cela donnant finalement satisfaction, il ne restait plus qu’à adopter le matériel. Ce qui fut fait le 28 mars 1898 sous le nom de :
CANON DE 75 mm Modèle 1897

LE CANON DE 75 DANS LES DIFFERENTES GUERRES ET OPERATIONS

Guerre de 1914-1918
Durant la Grande Guerre le canon de 75 fut surnommé « aboyeur » par les Poilus. Avant cette guerre, la production journalière d’obus (douilles et projectiles) de 75 étaient de 14.000 coups, elle passa à 230.000.

En 1914 la France avaient 3.840 canons de 75 de campagne ; après la bataille de la Marne, le déficit était environ de 400 pièces, soit 10% du parc. En avril 1915, le déficit avait doublé, il manquait 800 canons aux artilleurs. Mais en 1918 le nombre de pièces atteignit 5.484 [1]avec la production de 2.067 canons par trimestre, mais dont une partie, il est vrai, était fournie aux Belges, Serbes et Américains.
Joffre dans ses mémoires a écrit que les obus de 75 avec leur tir tendu ne pouvaient détruire les fortifications ennemies. Par contre il était possible avec des obus sans retard d’ouvrir des brèches dans les réseaux de barbelés.

Il y eut aussi des canons qui explosèrent au départ du coup. Cela était dû non seulement aux douilles en acier fabriquées aux Etats-Unis qui présentaient de petites fissures filiformes, mais aussi aux cadences de tir trop élevées provoquant de forts dépôts de cuivre des ceintures à l’entrée de l’obus dans les rayures du tube.

Lors de la bataille de Champagne le 26 septembre 1918, il avait été tiré 1.315.000 obus de 75.

En ce qui concerne la Défense Contre Aéronefs (DCA), il y avait en 1914 un seul canon de 75 en autocanon. En 1918, l’artillerie antiaérienne comprenait 404 pièces de 75 [2] qui étaient des autocanons, des canons sur affût remorque tracté et sur plate-forme.
Cette DCA avait abattu 85 avions allemands en 1916 et 218 en 1918.

Au Levant

En 1918 une batterie de 65 de montagne est renforcée par deux batteries de 75. En Juillet 1920, la 3e division utilise son artillerie dont 4 batteries de 75 pour dégager la route de Beyrouth à Damas. Le 25 septembre 1925, l’attaque française enfonce la résistance de 4.000 Druzes qui assiégeaient Soueïda, grâce à son artillerie avec deux batteries de 65 et deux de 75.

Au Maroc

Lors des opérations du printemps 1926, l’artillerie dispose de 56 batteries comprenant des 75 modèle : 97 et des 75 de montagne.

En France entre les deux guerres

Le matériel d’artillerie des ouvrages fortifiés comportait différents tubes de 75 récents. A partir de 1934, un 75 modèle 97-33 était à flèche ouvrante et sur roues à pneus, lesquelles étaient blindées et en pivotant formaient un bouclier pour les servants. Le 75 modèle 97 fut monté sur une plate-forme qui lui donnait un champ de tir horizontal de 360°, mais nécessitait un long délai de mise en batterie.

Des canons de 75 furent mis au point pour la DCA : modèle 1930 sur remorque, modèles 1932 et 1933 autocanon. La vitesse initiale de leur projectile atteignait 700 m/s, alors que pour le 75 modèle 13 elle n’était que de 570 m/s.

La guerre de 1939-1945

Lors de la campagne de 1939-1940, le 75 reste la base de l’artillerie divisionnaire et des régiments sont encore hippomobiles. Mais les bons vieux 75 ont mis hors de combat de nombreux chars allemands P.Z.W.I et II ayant un blindage assez faible lors de la percée de Sedan. En juin 1940, une batterie de 4 canons de 75 du 405e RADCA de Sathonay avec 200 coups chacun appuya près de Chasselay la défense de Lyon par le 25e RTS. Elle causa des pertes importantes au régiment allemand « Gross Deutschland » avant d’être détruite.

La DCA des armées comptera en avril 1940 19 groupes d’autocanons de 75 et 9 groupes sur remorque. La défense aérienne du territoire (DAT) aura jusqu’à 320 batteries de 75.

Le 28 février 1941, la prise de Koufra eut lieu avec 300 hommes et 1 canon de 75. En 1942, l’artillerie en AFN est dotée en majorité de 75 modèle 97 auquel incombera presque exclusivement la défense contre les blindés allemands. Le commandant du I/15e régiment de tirailleurs sénégalais a écrit après une attaque : « L’artillerie française de 75 a été parfaite et a exécuté des tirs avec précision sur les points prévus donnant aux sections d’assaut une impression de force et de sécurité. »

A Bir-Hakeim la même année, le 1er régiment d’artillerie de la BFL possédait 4 batteries de 6 pièces de 75 modèle 97 dont l’essieu avait été remplacé en Syrie par celui d’automitrailleuses françaises avec des roues à pneus. Ils firent perdre à l’Afrika Korp de Rommel de nombreux blindés allemands et italiens. Un canon de 75 a été placé au milieu du cimetière militaire de Bir-Hakeim, il continue à veiller sur les héros y reposant.

En janvier 1943, la colonne Leclerc venant du Tchad et rejoignant à Tripoli, les forces britanniques avait une batterie de 75 de montagne et deux de 75 modèle 97 montés sur camion.

La fin du canon de 75 mm

Des canons de 75 furent encore utilisés pendant la guerre d’Indochine : la colonne Lepage qui devait participer à l’évacuation de Cao-Bang sur la RC4 avait avec elle non seulement 2 canons de 105 HM2 mais aussi 2 canons de 75 qu’elle laissa au poste de Ba-Cuong lors de son passage. Ce canon fut célèbre dans le monde entier et même l’armée allemande l’utilisa en assez grand nombre lors de la guerre contre l’URSS.

D’après une étude faite sur le 75, il y en aurait 104, existant dans différents musées des Etats-Unis, 11 en Oklahoma, 10 en Géorgie, 9 en Maryland et 9 en Virginie. Ce qui n’est pas le cas en France où fut réalisé ce fameux canon.

BIBLIOGRAPHIE:
Histoire de l’artillerie française
de Michel Lambares
Editions Lavauzelle 1984
Histoire universelle des armées
Editions Robert Laffont
Illustrations 1914-1918
Les militaires
de Pierre Gouhier
Editions universitaires
Revue des amis du musée
de l’Artillerie à Draguignan
La butte sanglante
de Pierre Miquel
Editions Pockett

NOTES:
[1] (1) Au 11 novembre 1918, l’artillerie française aligne en canons de 75/97 : ARTILLERIE « montée » 112 régiments divisionnaires (à 3 groupes de 3 batteries à 4 pièces) 4032 tubes 2 régiments de corps de cavalerie (à 2 groupes) 48 tubes ARTILLERIE « à cheval » 6 groupes de division de cavalerie 72 tubes ARTILLERIE « portée » 37 régiments (à 3 groupes) 1332 tubes
Total 5484 tubes
[2] ) ARTILLERIE de DEFENSE CONTRE AERONEFS 1 régiment de 100 sections ½ fixes ( à 2 canon de 75 affût plate-forme) 200 tubes 24 groupes d’autocanons 75 Mle 1913 (à 3 sections de 2 pièces) 144 tubes 10 batteries de 75 sur remorque tractée (à 3 sections de 2 pièces) 60 tubes
Total 404 tubes

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