LES CROIX DE GUERRE FRANÇAISES DES DEUX CONFLITS MONDIAUX
- Catégorie: Décorations Françaises
Mémoire
LES ORIGINES. De « la citation à l’ordre » à la Croix de Guerre
Au dix-neuvième siècle, les seules distinctions « visibles », à part les armes d’honneur, pour récompenser les actes de courage et les actions d’éclat des militaires au combat étaient la Légion d’Honneur (créée en 1802) et la Médaille Militaire (créée en 1852).
C’est alors que la citation à l’ordre fit son apparition durant les campagnes menées hors de France. Elle fut officiellement prévue dans le règlement sur le service en campagne pour l’armée de terre en 1883. Mais cette récompense ne comportait aucun signe distinctif.
Le 30 janvier 1915, la revue mensuelle L’ILLUSTRATION publia les premières feuilles du Tableau d’Honneur de la guerre, publication qu’elle poursuivit jusqu’à la fin des hostilités. On y trouva, sans tenir compte de la hiérarchie militaire, les portraits des officiers, sous-officiers et soldats avec le motif des citations à l’ordre de l’armée, des nominations et promotions dans la Légion d’Honneur, des décorations de la Médaille Militaire. On voit donc que des combattants étaient déjà cités à l’ordre [1]avant la création de la Croix de Guerre.
LA CROIX DE GUERRE 1914-1918
Il semblerait que l’idée de la création d’une Croix de Guerre puisse être attribuée au général BOËLLE, commandant le 4ème corps d’armée en 1914, lequel en aurait parlé à l’écrivain MAURICE BARRES lorsqu’il le rencontra lors de son passage sur le front. Ce dernier entreprit alors une campagne auprès des parlementaires et des journalistes demandant la création d’une nouvelle récompense militaire sous la forme d’une médaille de bronze. C’est à la suite de cette campagne que le député GEORGES BONNEFOUS déposa le 23 décembre 1914 une proposition de loi tendant à instituer une décoration dite de la « Valeur Militaire », destinée à commémorer les citations à l’ordre de l’armée, du corps d’armée et de la division.
Le député DRIANT, rapporteur de la Commission de l’Armée, remit à la Chambre des Députés le 4 février 1915 un rapport favorable à cette nouvelle décoration tout en estimant que le terme « Croix de Guerre » était préférable à celui de « Valeur Militaire ». Elle aurait la forme d’une croix à quatre branches égales en bronze surmontée d’une couronne de laurier et suspendue à un ruban vert uni. Après accord du Ministre de la Guerre, les deux Assemblées votèrent le projet. Toutefois le Sénat opta pour un ruban vert et rouge.
DESCRIPTION
Plusieurs projets furent proposés, mais ils n’avaient qu’un lointain rapport avec la forme fixée par la loi. Le choix se porta enfin sur la maquette réalisée par le sculpteur BARTHOLOME et présentée par le syndicat des fabricants d’Ordres. C’est alors que certaines critiques firent constater la ressemblance du modèle avec la Croix de fer allemande [2] La Société Nationale des Beaux-Arts en profita pour ouvrir un concours sur un nouveau modèle, mais le Gouvernement resta fidèle à son choix.
L’insigne était une croix pattée en bronze florentin du module de 37 mm, à quatre branches, avec entre les branches deux glaives antiques croisés. Les branches, légèrement bombées et grainés, étaient bordées d’un filet plat en léger relief. L’avers représentait au centre l’effigie tournée à droite de la République au bonnet phrygien orné d’une couronne de laurier, avec l’inscription REPUBLIQUE FRANCAISE. Au revers, le médaillon portait à l’origine le millésime 1914-1915, puis avec la prolongation de la guerre, ce millésime fut remplacé par 1914-1916, 1914-1917, 1914-1918, suivant l’année où la décoration avait été conférée.
La Croix de Guerre était suspendue à un ruban vert foncé de 36 mm de large avec un liseré rouge garance à chaque bord, traversé dans la longueur par cinq bandes rouge garance de 1,5 mm. Il semblerait que ce ruban fut choisi en souvenir de celui de la médaille de Sainte Hélène [3], créée en 1857, et dont le ruban était vert empire, les cinq raies et le liseré rouge framboise.
Les citations à l’ordre étaient placées sur le ruban par les attributs suivants correspondant à leur degré :
Armée : une palme de bronze [4]en forme de branche de laurier,
Corps d’armée : une étoile de vermeil,
Division : une étoile d’argent,
Brigade (ou régiment et unité assimilée) : une étoile de bronze
ATTRIBUTION
La Croix de Guerre fut donc créée par la loi du 8 avril 1915 avec pour but de « commémorer depuis le début de la guerre, les citations individuelles à l’ordre des armées de terre et de mer, des corps d’armée, des divisions, des brigades et des régiments ».
Par décret en date du 23 avril 1915, la Croix de Guerre était conférée de plein droit :
aux militaires des armées de terre et de mer, français ou étrangers qui avaient été ou seraient pendant la durée de la guerre contre l’Allemagne et ses alliés cités à l’ordre d’une armée, d’un corps d’armée, d’une division, d’une brigade, d’un régiment ou d’une unité correspondante,
aux civils et aux membres des divers personnels militarisés qui auraient été cités,
aux militaires ou civils non cités à l’ordre, mais dont la décoration de la Légion d’Honneur ou de la Médaille Militaire aurait paru au Journal officiel avec une citation à l’ordre de l’armée pour action d’éclat.
Les citations accordées par les commandants de région ou les commandants supérieurs des troupes aux Colonies pourraient aussi être accompagnées de la Croix de Guerre sous réserve de certaines conditions. Enfin, ce même décret prévoyait qu’en cas de décès de l’ayant droit, la décoration serait remise sur leur demande aux parents du défunt, mais sans être autorisés au port de l’insigne.
Le nombre de citations portant l’attribution de la Croix de Guerre 1914-1918 était d’environ 2 065 000 au 1er mars 1920, auquel il faut ajouter les citations accompagnant les Légions d’Honneur et les Médailles militaires, ainsi que celles à titre posthume. Devant certains abus concernant l’attribution de cette décoration, il fut envisagé de créer une « super » Croix de Guerre pour les combattants de l’avant, les combattants de « l’arrière » ayant été souvent les mieux servis ! Ce projet demeura sans suite.
Mais, par contre, à la fin des hostilités, le Ministre de la Guerre demanda au Commandement en Chef, avant que les combattants « encore en vie » ne retournent à la vie civile, de faire procéder à une étude de leurs titres de guerre afin d’éviter d’en avoir oublié dans l’attribution des récompenses.
Le capitaine GUYNEMER qui avait abattu 54 avions ennemis était décoré d’une Croix de Guerre avec 24 palmes.
2 952 villes et villages français se virent conférer la Croix de Guerre 1914-1918, toujours avec palme. La première ville ayant obtenu cette décoration fut Dunkerque en octobre 1917. De nombreux drapeaux et étendards de formations qui participèrent à la Grande Guerre furent décorés de la Croix de Guerre avec plus ou moins de citations à l’ordre de l’armée [5]et portèrent la fourragère aux couleurs de cette décoration.
LA CROIX DE GUERRE 1939
LES ORIGINES
Dès le début de la guerre qui fut déclarée par la France à l’Allemagne le 3 septembre 1939, le Ministre de la Guerre, Edouard DALADIER, voulut que des récompenses soient remises aux militaires qui se distingueront au feu. Comme il était matériellement impossible de créer immédiatement une nouvelle décoration, le Gouvernement accepta la proposition faite par des conseillers militaires de prendre le modèle de l’insigne en bronze de la Croix de Guerre de 1914-1918, avec un ruban différent, mais ayant les mêmes couleurs.
DESCRIPTION
Le décret du 4 octobre 1939 faisant suite à la loi du 26 septembre fixa la forme de la décoration et les conditions d’attribution.
La croix était identique à celle de la Croix de Guerre de 1914-1918, mais le médaillon central du revers portait le millésime 1939 (on ne pensait pas alors que la guerre ne finirait qu’en 1945). Son ruban était rouge de 37mm de largeur avec quatre bandes médianes vert foncé de 4mm chacune séparées de 1,5mm.
Les signes distinctifs pour les citations étaient les mêmes que ceux pour la Croix de Guerre 1914-1918.
ATTRIBUTION
Les premières Croix de Guerre furent décernées quelques semaines après le début des hostilités, mais jusqu’à la signature de l’armistice le nombre d’attributions abusives de cette décoration s’étant accru considérablement, cela déclencha ce que la presse appela « le scandale des Croix de Guerre ». Il fallait absolument entreprendre une révision des citations pour éliminer des faits d’armes fictifs. Une commission regroupant des militaires et des représentants des anciens combattants proposa alors de supprimer cette Croix de Guerre et d’en créer une nouvelle.
LA CROIX DE GUERRE, dite « de Vichy »
La nouvelle croix fut créée par le décret du Gouvernement de Vichy du 28 mars 1941 qui fixa le champ d’application des mesures de révision et les caractéristiques de cette décoration.
DESCRIPTION
La croix était la même que celle du décret du 4 octobre 1939 en ce qui concerne son avers. Par contre pour le revers, le millésime 1939 devint 1939-1940. Son ruban était vert de 37mm de largeur avec un liseré noir de chaque bord et dans la longueur cinq raies noires équidistantes de 1,5mm chacune. Les couleurs vertes et noires rappelaient celles de la médaille commémorative de la guerre de 1870-1871 qui symbolisaient non seulement le deuil de la perte de l’Alsace et de la Lorraine, mais aussi l’espoir.
En fonction des opérations militaires menées par l’armée sous le Gouvernement de Vichy, il y eut plusieurs modèles non officiels portant sur leur revers les différents millésimes 1941, 1942, 1943, 1944. Sur le modèle de 1944 l’effigie de la République sur l’avers était remplacée par la francisque avec l’inscription ETAT FRANÇAIS.
Les signes distinctifs pour les citations étaient les mêmes que pour la Croix de Guerre 1914-1918.
ATTRIBUTION
Pour l’armée de terre, seules les citations attribuées au niveau ministériel et à celui du haut commandement, ainsi que celles décernées aux grands blessés de guerre, seront maintenues. Les autres citations seront de nouveau examinées et celles retenues feront l’objet d’une homologation avec publication au « Journal officiel ».
Le Comité français de la Libération Nationale, dans son ordonnance sur les décorations décernées lors de la 2ème guerre mondiale, confirma que seule était reconnue comme officielle la Croix de Guerre créée par la loi du 26 septembre 1939. Par contre la révision des citations faite par le Gouvernement de Vichy ne sera jamais remise en cause.
LA CROIX DE GUERRE DE LA LVF
Cette Croix de Guerre fut créée le 16 janvier 1942, alors que la L.V.F. avait été fondée le 4 juillet 1941.
L’insigne était une croix en bronze, comme les autres Croix de Guerre françaises, mais sans les deux glaives croisés. Le médaillon de l’avers portait un aigle sur lequel était superposé l’écusson tricolore avec l’inscription FRANCE . Une couronne formée de deux branches de laurier cerclait le médaillon. Le médaillon du revers portait sur trois lignes l’inscription CROIX DE GUERRE LEGIONNAIRE.
Le ruban était vert, bordé de noir avec au centre sept minces bandes verticales noires. Les signes distinctifs pour les citations étaient les mêmes que pour les autres Croix de Guerre.
Il y eut environ 400 croix distribuées. La suppression de cette décoration date du 7 janvier 1944.
LA CROIX DE GUERRE, dite « de Londres »
DESCRIPTION
C’est vers la fin de 1942 que fut réalisée à Londres la frappe de cette croix en bronze ne portant aucun millésime à son revers.
Son ruban avait les mêmes couleurs disposées comme celui de la Croix de Guerre 1939.
ATTRIBUTION
La France Libre à Londres attribuait des citations aux combattants des trois armées constituant les Forces Françaises Libres.
LA CROIX DE GUERRE 1943, dite « de Giraud »
ORIGINE
Lorsque le général GIRAUD fut devenu le commandant en chef civil et militaire des troupes françaises en Algérie après le débarquement américain, il institua le 16 mars 1943 une Croix de Guerre.
DESCRIPTION
La croix de fabrication locale fut réalisée avec des moyens techniques réduits. En bronze, elle était à peu près identique à la Croix de Guerre 1914-1918, sauf que sur l’avers l’effigie de la République était remplacée par deux drapeaux français croisés et que le millésime du revers était 1943. En ce qui concerne le ruban, il y eut de nombreuses variantes suivant l’armée de Terre ou l’armée de l’Air. Certains rubans auraient même été verts avec des raies noires !
ATTRIBUTION
Cette Croix de Guerre était destinée à récompenser les actions postérieures au 20 novembre 1942, principalement pendant la campagne de Tunisie.
Le 28 août 1943, dans un bataillon du 9ème RTA, des Croix de Guerre furent remises, mais uniquement les rubans qui étaient ceux de la Croix de Guerre de 1914-1918, car les croix en bronze n’avaient pu être fournies.
Son port fut interdit par le général DE GAULLE le 9 novembre 1943.
LA CROIX DE GUERRE 1939-1945
Aujourd’hui, la seule Croix de Guerre officielle pour commémorer les citations lors de la 2ème guerre mondiale est celle dont la forme et les couleurs du ruban furent fixées par le décret-loi du 26 septembre 1939 et que confirma l’ordonnance du 7 janvier 1944.
Le capitaine CLOSTERMANN, des Forces Aériennes Françaises Libres, était décoré de la Croix de Guerre 1939-1945 avec 27 palmes.
Cette Croix de Guerre avec palme ou étoile en bronze, en argent ou en vermeil a été attribuée à 1585 villes ou villages de France métropolitaine, de l’Afrique du Nord et des territoires d’outre-mer.
Les deux Croix de Guerre se portent après la Médaille Militaire.
BIBLIOGRAPHIE:
CLOSTERMANN(Pierre)
« Le grand cirque »
Flammarion, 1949
LE RIBAULT (Loïc), CAMINADE (Bernard), LACOMBE (Eric)
« Décorations » 3e édition
Editions du Pécari, Biarritz 1998.
MONNET (Gustave)
"Morituri vos salutant"
Les cahiers de la Mémoire. Cahier N° 12
FSALE / Comité de la Mémoire
FREMY (Dominique et Michèle)
« QUID » 1997
Editions Robert Laffont.
Monnaie de Paris
« Les décorations officielles françaises »
Imprimerie nationale, Paris 1956.
Commandement de la Légion étrangère
« Képi Blanc » Mensuel
« L’ILLUSTRATION » 1914-1918
Le Musée du Souvenir Militaire de Lyon
NOTES:
[1] Dans quelques unités, des officiers avaient pris l’initiative de faire porter à leurs hommes « cités à l’ordre » une marque distinctive
[2] Mais c’est surtout l’insigne de la Croix du Mérite de Guerre créée en Allemagne le 18 octobre 1939 qui ressemble étrangement à celui de la Croix de Guerre française.
[3] Cette décoration officielle fut surnommée la « médaille en chocolat » en raison de la couleur bronze patiné de l’insigne
[4] Certaines documentations phaléristes citent la création d’une palme d’argent et même d’or qui aurait remplacé 5 palmes de bronze et plus
[5] A la fin de la guerre de 1914-1918, la Croix de Guerre du drapeau du Régiment de Marche de la Légion étrangère et celle du Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc portaient 9 palmes.